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Ça en valait-il la peine?
 

Batailles choisies #155

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En deux mots:

Quand on évoque les difficultés et les injustices des mères dans le travail parental, on leur dit: c’est un sacrifice qui en vaut la peine. Qu’est-ce que ça cache, au juste? Dernier post à partir de On ne naît pas soumise, on le devient.


 

Pour comprendre quel rôle le travail domestique occupe dans les inégalités entre femmes et hommes, je vais citer l’essai de Manon Garcia, On ne naît pas soumise, on le devient, dont je parlais dans mes posts précédents. Pour contextualiser, l’autrice rappelle qu’il y a une distinction essentielle entre le travail et le travail domestique: là où le travail a des vertus de création qui permet la prise de conscience de soi, 

le travail domestique est une façon de lutter contre le négatif, c’est un éternel recommencement qui ne permet pas à la femme de prendre conscience d’elle-même mais au contraire la prend au piège d’une immanence, d’une répétition qui n’est jamais création et l’empêche de s’inscrire dans une temporalité libre.


Cette phrase m’a fait réfléchir à un argument pro-enfantement qu’on entend partout et de quiconque: oui, élever des enfants, c’est ingrat, c’est répétitif, on a l’impression d’être le nez dans le guidon pendant quinze ans, mais au bout du tunnel, ça en vaut la peine.


C’est une façon de transcender les tâches parentales, et les tâches domestiques liées aux tâches parentales, pour un bien supérieur, celui d’élever ses enfants.

Cette distinction semble juste à première vue: même si le quotidien avec les enfants est fait de ces tâches ingrates et répétitives (changer les couches, préparer les repas, s’occuper des lessives, aider avec les devoirs), il y a bien la création, l’avènement d’un adulte. Quand on a fait vingt ans de tâches parentales, on a fabriqué une personne, on peut avoir l’impression d’avoir accompli quelque chose. Par opposition, après vingt ans de ménage, de cuisine et de courses, on n’a rien accompli de plus que ces tâches-là.


On a longtemps vendu aux femmes que la cuisine et le ménage étaient une forme d’accomplissement de soi, qui permettait donc de transformer le travail domestique en création, ne serait-ce que du bonheur pour son foyer. Heureusement, cela fait des décennies que la transcendance des tâches ménagères sent le roussi.

Alors, ma question: puisqu’il n’est plus vraiment possible de vendre les p’tits plats comme une forme d’accomplissement de soi, de transcendance à la répétitivité des tâches, ceux qui ont le plus intérêt à garder les femmes dans cette position d’exploitation n’ont-ils pas eu l’idée lumineuse de mettre tout le poids de l’accomplissement de soi sur le travail parental?

Et n’ont-ils pas intérêt à ne pas appeler le soin des enfants  “tâches” ou “travail”, mais “organisation”, ou “obligation”, qui en réduit nettement la portée politique?

Je n’ai pas la réponse. Juste le sentiment têtu que l’insistance sur le développement de soi par la parentalité permet de faire passer en douce un travail domestique contre lequel on se rebiffe plus facilement.

Un peu comme quand on sert avec notre beau plus sourire à nos enfants un muffin au chocolat où sont cachés des morceaux de courgettes.

 
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Le temps des mamans
 

Batailles choisies #73

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Pas le temps de lire tout de suite?

En deux mots:

Cuisiner le dîner avec son enfant dans les pattes porte un nom savant - savant et pas terrible. Vous le saviez?


 

J’ai envie de réfléchir au temps qu’une mère passe aux tâches domestiques et parentales, ou plutôt, à la manière dont on calcule le temps passé à effectuer ces tâches. 

Pour les études statistiques et sociologiques, on demande aux parents de comptabiliser les minutes qu’ils passent à différentes tâches: “combien de minutes consacrez-vous à la préparation du repas, au linge, aux jeux, au bain, aux déplacements vers l’école” etc. 


« Mes soirées ne se décortiquent pas »

Mais mes journées à m’occuper des enfants, ou mes soirées, ne se décortiquent pas ainsi, en minutes consacrées à chaque tâche domestique ou parentale. En fait, mes soirées ne se décortiquent pas du tout.

Allez, on rentre les enfants, enlevez vos chaussures, rangez-les, argh, ils rangent jamais, je le fais, faut que je mette une lessive, ils sont dégoûtants, non, arrêtez de vous disputer, allez, on lit un livre, voilà, je vais en lire un autre mais il faut que j’étende la lessive, et mince, qu’est-ce qu’on peut manger ce soir, allez, les enfants, on sort faire deux courses et on cuisinera ensemble le dîner, tant pis ils vont encore en mettre partout, allez, on remet ses chaussures, je dois plier les vêtements en rentrant et préparer le sac de l’école, vider le lave-vaisselle, non mais arrêtez de vous battre, là, c’est pénible...






Est-ce qu’une telle soirée équivaut réellement à 2 min (rangement) + 10 min (linge) + 15 minutes (soutien émotionnel) + 15 min (jeux avec les enfants) + 30 min (cuisine) etc…?




Ça revient à juger la performance d’un homme-orchestre en comptant le nombre de notes qu’il a jouées.

Enfin, la femme-orchestre, dans ce cas.

« Un gloubiboulga de tâches domestiques »



La vie de parent, et particulièrement de mère, puisque les femmes portent majoritairement le poids de la famille, est un gloubiboulga de tâches domestiques et parentales qui se font presque toutes en s’entrecroisant, en s'emmêlant. 

Les tâches parentales et domestiques ne sont pas uniquement cumulatives, elles sont aussi simultanées.



Dans la comptabilisation minute par minute des tâches, il y a donc quelque chose qui se perd: l’effet “bourbier” du quotidien de la vie de famille - bourbier, pas étonnant qu’ils soient tout le temps dégoûtants. Et il y a ce qui reste invisible, la charge mentale, qui consiste précisément à faire la lessive maintenant parce qu’elle sera prête avant le dîner qu’on va préparer en même temps que Grand lit un livre, et chercher à cuisiner avec ses enfants parce que ça fait d’une pierre deux coups, de deux tâches une tâche et une occupation.  

« la garde passive »

  

Il existe un terme technique pour décrire ce double travail: cuisiner avec votre enfant (par exemple) s’appelle de la “garde passive”. 

Ça vous convient à vous, ce terme? Moi pas vraiment, parce que j’ai remarqué que mes enfants se laissaient rarement gardés passivement. D’ailleurs, ils sont rarement passifs tout court.

On perd dans ce terme le double poids des tâches, l’aspect cumulatif. 

Peut-être proposer alors comme terme, le temps alourdi? Le temps doublé? Le temps gloubiboulga? La garde augmentée? Le millefeuille de tâches? Je ne sais pas encore, rien ne sonne assez bien (ou mal). 



Je me dis que ce ne serait pas inintéressant de considérer que le temps maternel se calcule par soustraction, et non par addition: l’opération de soustraction consisterait à dire:  temps d’éveil (7h de sommeil)- temps de loisir (Netflix, 1 heure - et ça ne compte pas si vous pliiez le linge en même temps) = temps de travail domestique et parental.

J’ai le sentiment que ça ferait augmenter le temps parental, que ça empêcherait les femmes de sous-estimer (comme elles le font) leur temps de tâches ménagères et parentales, que ça empêcherait les hommes (comme ils le font) de surestimer leur implication.


Ça permettrait de confirmer par A + B, avec chiffres à l’appui, que cuisiner une quiche avec un enfant de 2 ans, c’est pire que de cuisiner une quiche, ou que de s’occuper d’un enfant de deux ans. Qu’en faisant les deux en même temps on résout deux problèmes et on en crée un troisième - la cuisine pleine d’oeufs dégoulinant. 

 
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