Empathie en phase d’expérimentation
Batailles choisies #156
En deux mots:
Qu’est-ce que l’empathie? Ça dépend si c’est Maman qui a mal (dans ce cas, on fait attention) ou son frère (dans ce cas, on s’en contrefout).
J’observe comment Grand, bientôt 5 ans, essaie de comprendre ce qu’est l’empathie et l’attention aux autres. Il est capable de douces gentillesses avec moi et des pires méchancetés avec son petit frère.
Il met des cailloux dans le t-shirt de Petit, le regarde tomber en éclatant de rire, ne l’aide pas à se relever (voire lui lance des brins d’herbe dessus quand il est à terre), lui arrache le jouet avec lequel son frère s’amusait dans son coin sans réclamer son reste.
Et lorsque Petit pleure, fait clairement comprendre par des “non” hurlés et nets, ou par des courses pour se mettre en sûreté qu’il n’aime pas le jeu, Grand ne semble pas comprendre ou s’en moquer.
C’est dur de voir ça. De devoir expliquer que non, on ne balance pas de livres sur son frère, même quand il t’énerve. Je sais que lui, souvent, il te frappe, mais non, on ne doit pas répondre à la violence par la violence. Et puis ils reprennent ensemble un jeu mignon plein d’éclats de rire partagés, qui me rassure sur leur capacité à s’aimer et entendre leurs émotions respectives. Un quart d’heure après, ils sont en train de se griffer et de se jeter des majorettes à la figure.
Mais ce qui me surprend, c’est la capacité de Grand à faire attention à moi qui suis enceinte, sa capacité d’écoute quand je lui explique que je ne peux plus me baisser pour ramasser des jouets tombés par terre ou que je ne peux plus faire la course avec lui, ni sauter dans le trampoline. Sa capacité à anticiper ma fatigue à cinq mois de grossesse, mes mouvements plus pénibles et à proposer des solutions pour m’éviter l’épuisement, dans la mesure de sa compréhension bien sûr, n’allez pas croire qu’il m'amène quotidiennement des petits-déjeuners au lit:
-Regarde, Maman, regarde, pour que tu ne te fatigues pas trop, tu peux me porter jusqu’à la fin de la terrasse, et après je marche, d’accord, Maman, d’accord?
C’est comme s’il y avait dans la relation fraternelle quelque chose d’un laboratoire pour l’empathie où on peut jouer au savant fou. Est-ce avec cette relation si spéciale avec son frère qu’on teste ce qu’est la cruauté, la méchanceté, l’égoïsme? Qu’on teste son pouvoir sur les faibles?
Et dans ce laboratoire pour Dr Frankenstein, est-ce en faisant des expériences avec des substances dangereuses, instables, qui peuvent vous exploser à la figure, qu’on découvre par sérendipité d’autres valeurs, la solidarité, la fraternité, le bon cœur?
Dans ce laboratoire fraternel, j’espère qu’on commence par M. Hyde et qu’on va vers le Dr Jekyll - et non l’inverse.