Une autre femme
Batailles choisies #393
Je comprends seulement maintenant d’où vient ce cliché qu’on s’entend mieux entre parent et enfant de sexe opposé, entre père et fille ou mère et fils. Pour vous? C’est un cliché ou c’est vrai? 👩👧
Je regarde mes garçons qui jouent ensemble, avec la brusquerie et le ridicule des jeux d’enfants - et le privilège que les garçons ont de faire des jeux brusques et idiots. Ils se secouent puis éclatent de rire, se font des prouts-bisous, se montent dessus pour jouer au cheval, hilares, heureux. Je les regarde et me rappelle soudainement que, pour mon fils aîné, j’étais persuadée d’attendre une fille. Que pour mon deuxième, j’étais sûre que ce serait un garçon. Et que pour mon troisième, j’étais sûre, et soulagée aussi, que ce soit un garçon. Je dis bien soulagée parce que j’imaginais qu’une fille venant après deux garçons dans une famille de trois enfants passerait sa vie à entendre de gens bien intentionnés mais maladroits que “dis-donc, tes parents, ils voulaient vraiment une fille!” Un garçon au moins ne se retrouverait pas à porter l’étendard de “la fille tellement désirée”.
Voilà comment, par hasard, je suis mère de trois garçons.
Et ça me plaît. Curieusement, je trouve ça facile.
Je me demande pourquoi…
Je repense à tous ces clichés, à toutes ces histoires vécues aussi, où la mère a des relations conflictuelles avec ses filles davantage qu’avec ses fils. Je repense à ces filles, adolescentes ou adultes, qui s’amusent, se moquent ou critiquent leur mère, plus que leur père. Je repense à toutes ces filles qui se sont éloignées de leur mère, puis s’en sont rapprochées lorsqu’elles sont elles-mêmes devenues mères.
En fait, je me dis que j’aurai la chance de ne pas imposer une féminité (entendu simplement comme le fait de vivre sa vie en tant que femme) à une autre femme. Si j’avais eu une fille, j’aurai forcément mis ma façon d’être femme comme modèle, comme exemple à suivre ou non. J’aurai été pour elle ce qu’est une femme… et j’aurai forcément pris en pleine face à l'adolescence les écarts, les refus, les rejets de cette femme que je suis, miroir positif, miroir négatif.
Mes fils me reprocheront bien tout ce qu’ils veulent à l’adolescence et dans leur vie d’adulte, ils verront bien sûr mes limites, mes défauts, mes impasses. Mais ce sera d’enfant à mère, et non de femme à femme. C’est peut-être moins viscéral?
Je me rends compte aussi de la richesse potentielle de cette relation que je ne vivrai jamais, de femme à fille: voir une autre femme vivre sa vie de femme, accepter d’être bousculée dans sa féminité, et apprendre d’elle.
Le hasard m’a donné trois garçons. Avec sa bénédiction, je profite d’être la seule femme à la maison, dans toute sa solitude et dans toute sa majesté, d’être un peu borgne au royaume des aveugles.