Parentville, tout le monde descend
Batailles choisies #481
Une soirée comme une autre à Parentville: on part sur des chapeaux de roue et on finit en eau de boudin/en vasouillage/dans le caniveau - ou toute expression indiquant que l’entropie est le 6e membre de notre famille. 🪥
Les étoiles ont l’air alignées: il est 19h10 et dans dix minutes, quinze maximum, Dernier et Milieu seront endormis. On aura un bout de temps tranquille avec Grand et on pourra même avoir notre soirée avec Mari. Youpi! Enfin, youpi sous conditions…
Depuis deux semaines, et j’espère ne pas nous poisser en l’évoquant ici, les soirées sont moins galères. Les habitudes et horaires sont pris, les rituels sont ancrés. Il est 19h10, donc, et le labyrinthe du tunnel dîner-bain-dodo a été remplacé par une voie de chemin de fer bien droite, peut-être pas une ligne TGV, mais au moins une voie de tortillard qui, lentement mais sûrement, amène à la gare tant attendue des parents: le coucher. Pour Dernier, ce sera: pyjama, tétée avec le doudou, proposer le biberon, appeler Papa, s’endormir après quelques gesticulations. Pour Milieu, ce sera: pyjama, lavage de dents, allumer la couverture chauffante, se coucher, s’endormir. Ce sera donc rondement mené.
Il est des soirées qui commencent bien et qui, on ne sait pas pourquoi, tournent mal. Un grain de sable, une légère déviation ou un battement d’ailes de papillon en Moldavie créent une réaction en chaîne: l’un après l’autre, les garde-fous tombent et nous voici à passer une soirée pourrie. Aujourd’hui est une de ces soirées-là.
Dernier est agité et la tétée ne parvient pas à le calmer. Milieu, qui est si conciliant le soir au coucher, ne veut rien mettre, rien entendre et veut surtout ne rien concilier. Papa, à voix basse pour ne pas perturber Dernier, négocie, explique, convainc. Dernier se détache du sein à chaque parole de son père, qu’il boit mieux que mon lait. Milieu, qui ne sait pas chuchoter, parle haut et fort et pose un tas de questions, bientôt étouffées par le bruit de la porte de la salle de bains, du sèche-cheveux, des cajoleries de son père pour lui laver les dents. Bon. Quelques minutes passent. Milieu semble plus tranquille mais Dernier ne ferme pas l'œil. Aujourd’hui, il avait les fesses irritées, c’est peut-être pour ça?
Ou c’est peut-être, je n’ose le penser, que le coucher ne sera ni rapide, ni agréable, ni tranquille? Non, il faut garder espoir…
Milieu revient, dents propres, couche mise, et se glisse dans son lit. Un bisou puis Papa s’en va. Allez, avec un peu de retard sur le planning, le dodo va se faire et notre soirée aussi. Sauf que… qu’entends-je? Des sanglots? Mais oui, c’est Milieu qui, ce soir évidemment, ce soir forcément, ce soir fatalement, se met à pleurer qu’il ne veut pas dormir tout seul et que demain il ne veut pas aller à l’école. Dernier qui avait enfin fermé les yeux se détache abruptement du sein non sans m’avoir mordu et, alors que je retiens un cri de douleur, descend du lit et va voir, deux lits plus loin, qui est responsable de ce vacarme. Milieu pleure plus fort, Papa revient et se couche avec lui. Dernier est réveillé, se met à jouer, discuter, s’amuse à enlever ses chaussettes.
C’est pas possible. C’est complètement raté, là! Il est déjà 19h30, on a manqué le train du dodo! Milieu pleure, Dernier gazouille, Papa se morfond et Maman se maudit. Parentville, échec, terminus, tout le monde descend.
Les minutes passent en même temps que nos espoirs d’une soirée tranquille. Au bout d’un moment, les pleurs et les gigotages se sont tus. Tout n’est pas perdu. Seulement beaucoup. Mais allez, se raccrocher au positif: on aura un moment avec Grand. En parlant du loup… l’accalmie relative qui avait fini par se faire dans la chambre est percée par mon aînée qui, grand et responsable, a décidé d’aller se doucher tout seul. De l’autre côté de la porte, je l’entends qui arrive pour exécuter cette décision avec ses pieds d'éléphant, ses jambes de dinosaure, sa respiration de buffle et ses mains aux doigts de plombs qui tambourinent à toutes les portes. C’est parti pour le doux tapage de l’eau, d’une chanson fredonnée, des cheveux séchés, des dents lavées.
Il est presque 20 heures quand Milieu et Dernier dorment enfin. Épuisée, je donne mes dernières forces pour lire une histoire à Grand, avant qu’il aille, un peu tard, se coucher.
Je sais que les progrès chez les enfants et conséquemment dans la vie de famille (ici les couchers), sont des paliers, et non une courbe toujours ascendante. Ils sont donc souvent faits de régressions parce que qui dit palier dit reculons dit gamelle. Mais ce soir, l’image qui me vient est plutôt l’exemple entendue ici ou là du concept de l'entropie, cette force vive qu’est le désordre: il est impossible de remettre le dentifrice une fois sorti du tube.
Et je peux vous dire que, ce soir, on a pédalé dans le dentifrice.