Ça va
 

Batailles choisies #586

Ça va (jamais): complainte pour la vie de famille 💬


 

Ça va jamais les repas, j’aime pas les lentilles, j’aime plus les lentilles, je veux plus de lentilles,

Ça va jamais les dîners, jamais les cinq à table, un qui va chercher son dessert alors que l’autre en est encore à la salade, le deuxième qui a encore faim et se fait un sandwich, le mari qui pianote sur son téléphone, Dernier qui descend et remonte de sa chaise six fois,

Ça va jamais les légumes, pas encore des épinards, carottes râpées non! Mais vous aviez déjà des tomates ce midi, et du céleri, il en reste un peu, ça va? 

Ça va jamais les goûters, Maman, aujourd’hui tu m’as envoyé des biscuits au chocolat blanc, mais c’est Milieu qui aime ça, moi j’aime pas, et moi je veux des chips, non mais enfin, des chips en collation, ça va pas, non?

Ça va jamais les jeux, ça commence bien et ça finit mal, ils rient à gorge déployée et courent comme des fous dans la cuisine alors que je leur ai expressément signifié que ça me dérangeait pour ranger la vaisselle du dîner et préparer leurs repas pour demain, et bien sûr, il y en a un qui se prend un coin de meuble ou une porte et alors ça ne va plus, allez ça suffit, montez, montez, vous allez vous laver les dents et vous restez en haut pour jouer tout seuls et me laisser ranger la cuisine et préparer les repas,  

Ça va jamais les moments tout seuls, ils peuvent pas jouer deux minutes tranquilles, sans mettre du bordel partout, sans se chamailler, sans redescendre au premier avec des jouets du second, 

Ça va jamais les soirées et ça va jamais s’arrêter, ces soirées à courir partout et après tout le monde, à pas pouvoir s’asseoir deux minutes, à se disputer, à crier, à négocier, à devoir réconforter alors qu’on n’a plus d’énergie pour les autres, 

Ça va jamais les minutes de répit qu’on s’offre au milieu de l'ouragan, oeil du cyclone, calme entre deux tempêtes - avec trois enfants manger un petit morceau de chocolat cachée dans la cuisine pour s’offrir un temps pour soi peut se payer cher, une minute de lâcheté obligeant parfois à un quart d’heure de remontrances face au bordel, de rangement de jeux de cartes éparpillées, de disputes avec des gamins qui ont laissé la salle de bains trempée et les serviettes abandonnées,

Ça va jamais les douches, non, on veut pas aller dans le bain, trop de savon, le shampoing pique les yeux, maman, à l’intérieur le rideau de douche, les enfants enfin, non, on veut pas sortir du bain!

Ça va jamais le livre, ah non, pas celui-là, mais il faut que ton frère et toi ayez envie de le lire, le Lapin, non, c’est pour les petits, bon celui des choses incroyables alors, mais je vous préviens, on ne lit qu’une page de choses incroyables et on arrête, allez, c’est fini, encore un peu Maman, encore une dernière page, ou un autre fait incroyable, c’était trop rigolo, allez, un, mais je vous préviens, après, promis, vous vous endormez tout seuls, et je descends préparer vos repas pour demain,

Ça va jamais les dodos, il faudrait que le lit soit chaud tout de suite, que la veilleuse soit plus douce ou moins bleue, que la Maman reste toujours alors qu’on a promis, les garçons, vous vous rappelez, hein que vous alliez vous coucher en autonomie et que j’irais préparer les repas pour demain?


Oui, oui, vas-y Maman, ça va.


Bon, ça a été. Allez, la corvée de repas, de goûters, de légumes, de desserts, ceux qui ne vont jamais, et dont on se plaindra demain… mais pour l’heure, je laisse dans le soir, les complaintes, les râleries, les… les rires?

Quoi? C’est pas possible… je les entends rire… qu’est-ce qu’ils font? 


Ils sautent sur le matelas de Milieu depuis l’échelle du lit superposé, en riant aux éclats, en laissant dans leur sillage le calme nécessaire au coucher et les belles promesses qu’ils m’ont faites de s’endormir tout seuls


Non mais ça va pas?


Je vous fais confiance, je vous dis de vous coucher et c’est comme ça que je suis remerciée de mes efforts? Je prends sur ma soirée pour vous lire un livre alors que j’ai pas fini de préparer les repas pour demain, alors, moi, hein, ça y est, la bonne poire, c’est fini, ça va!


Ça va pas du tout en réalité. Cette trahison de ma confiance, cet abus de ma gentillesse, me fait entrer dans une colère noire, et la soirée qui s’était passée à peu près correctement, c’est-à-dire pas plus mal que d’habitude, finit en hauts cris. 


Ça n’ira donc jamais, la vie de famille? 


Tu as l’air fatiguée, Chérie, on s’ouvre une bouteille?

Non merci, ça va.

Tiens, ta mère t’a envoyé un message. Il se passe quelque chose?

Non, elle veut juste prendre des nouvelles.

“Et les enfants, en ce moment?”

“Ben écoute, ça va, ça va.”


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Colin-maillard
 

Batailles choisies #585

Mais qui voilà à la maison! La belle-mère! Et avec elle, la belle-mère intérieure, celle qui juge nos enfants et les trouve vraiment malpolis. 🫣


 

La maison est tendue.

Ça crie, ça se dispute, ça souffle d’exaspération. 

Mari dit: les enfants sont pénibles ce soir.

Ben, pas plus que d’habitude.

Mari insiste: ils n’arrêtent pas de se chamailler.

Ben, non, enfin si, mais normal, quoi.


Pourquoi cette tension dans l’air? Une journée compliquée? Une réunion importante? Un souci? Je ne sais pas si c’est Mari qui est fatigué aujourd’hui ou bien si c’est sa façon de me dire que je supporte trop mes insupportables gamins. En plus, c’est bête, on devait passer une soirée plus tranquille, puisque la mère de Mari est avec nous pour la soirée! Trois adultes pour trois enfants, un luxe: chacun allait calmement occuper un gosse, tout le monde se tiendrait par la main et se ferait des bisous, toute l’heureuse petite famille trottinant vers un dîner de partage et un coucher paisible.


Ah… mais c’est sans doute pour ça. Dans notre huis-clos familial habituel, les garçons nous énervent mais enfin, on a appris, sauf exaspération ou grosse fatigue, à fermer les yeux sur le bordel, les chamailleries, les mesquineries. Ce soir pourtant, notre huis-clos est rompu: la mère de Mari est là, avec ses yeux d’extérieur, avec sa façon de faire. Elle ne se permet pas de commentaires, ne dit rien qui fâche, mais avec sa simple présence, elle est un révélateur de tout ce qui ne va pas dans notre famille, ou plutôt de tout ce qu’on aimerait faire mieux, de notre work in progress - pour ne pas dire de nos échecs. Notre famille n’est pas présentable plus de cinq minutes, nos enfants ne sont pas polis plus de cinq minutes, notre maison ne roule pas plus de cinq minutes - et belle-maman est là pour la soirée entière.


En fait, avec cette invitée, ou cette intruse, Mari regarde sa famille avec d’autres yeux - et pas des moindres. Il doit nous trouver pas à la hauteur, il doit se dire, plus ou moins consciemment, qu’on n’est pas, ni ses enfants ni moi, ce qu’il aimerait qu’on soit: je suis trop souple, je ne sais pas cuisiner, ses gosses parlent trop fort et n’écoutent personne, ils se tiennent mal à table et ne rangent rien. Mari, en bref, a activé sa belle-mère intérieure. C’est un regard d’autant plus jugeant que, cet après-midi, avant de venir nous voir, Abuelita est passée chez son autre fils, qui, lui, a une fille toute calme, qui, elle, joue avec ses peluches et qui, elle, ne crie jamais. La famille de mon beau-frère, en donnant l’impression de garder le contrôle sur tout, révèle d’autant plus clairement que nous sommes souvent complètement dépassés, que nous avons perdu, ou abandonné face au bordel, aux chamailleries, aux mesquineries. Un dernier phénomène empire la frustration générale: c’est parce qu’on aimerait montrer la meilleure image de ses enfants que ces sales gosses, qui se moquent joyeusement de cette image qu’on aimerait donner, qu’on s’impatiente d’autant plus. Nos tensions, nos sentiments contraires, l’impression réelle ou supposée qu’on nous juge, se transmettent aux enfants. 


A-t-on le droit de jouer à colin-maillard et de bander ses regards sévères? A-t-on le droit de mettre des œillères pour aveugler sa belle-mère intérieure? Ils sont pas si terribles, si?

Pour la survie de tous et de tous nos égos, je crois qu’il le faut.


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