La colle et l’étiquette
Batailles choisies #662
C’est ça, être parent d’enfants grandissants? Voir son enfant prendre forme et ne pas aimer ce qu’il devient? Comment on aime une petite personne qu’on est censé adorer plus que tout, quand elle se comporte comme un moins que rien? 📛
Allez, et c’est reparti.
Grand se bloque.
Il décrète qu’il arrête, qu’il abandonne.
Qu’il ne veut plus faire.
Et il me regarde, depuis son coin, assis sur le perron de la porte.
Entre continuer à m’exaspérer et sortir du conflit, il hésite, ne fait rien.
Entre me mettre à lui crier dessus et abandonner pour sortir du conflit, j’hésite, ne fais rien.
Aucune des deux voies n’est la bonne, je le sens, le sais.
Mais en moi-même, je bous.
C’est le soir et je suis dans mon lit, le sourire en berne, une colère, une fatigue qui me consume, un grand découragement qui me prend.
En moi-même, je continue de bouillir.
Je passe en revue la journée d’aujourd’hui, que j’espérais douce et positive pour ma petite vie de famille, ma petite vie de maman. Je ne suis qu’avec Grand et Milieu, ça va être tranquille, sympa. Tous les trois entamons une session de rollers, sport que Milieu a demandé à pratiquer et auquel nous nous mettons tous, en famille.
Et Grand, au bout de cinq petites minutes, repart dans ses abandons, sa fâcherie, ses bouderies, sa mauvaise humeur qu’il envoie au monde entier avec sa moue rebelle et infantile.
Non, j’arrête le roller.
J’ai pas envie.
Je m’ennuie.
Je veux plus.
Quoi? Encore ça?
Encore?
Mais on a déjà eu ce problème la première fois qu’on a enfilé nos patins! Grand est tombé une fois et a décrété qu’il n’aimait pas et n’en referait pas. Mari s’est fâché, Grand est parti en pleurant, j’ai réouvert un livre de chevet de parentalité pour trouver une réponse à ce problème, j’ai eu une discussion avec mon aîné pour l’aider à sortir de cette image de lui-même qui le pèse, j’ai cru le problème résolu.
Et non, ce problème est revenu plus lourd, cette étiquette est revenue plus collante que jamais.
Grand n’a pas le sens de l’effort. Il manque de pugnacité et, à mesure qu’il grandit, ce défaut l’empêche. D’autant qu’il manque de confiance en lui, qu’il se dit souvent nul en ci ou ça, qu’il n’a pas envie de se dépasser.
Oui, sûrement, dans le cas des rollers, ça vient d’un complexe qui naît de voir son frère, Milieu, à l’aise avec n’importe quel sport, léger, agile, véloce et faisant facilement tout ce qu’il se propose.
Oui, sûrement, notre inquiétude s’amplifie à cause du manque de coolitude de notre fils, de ses relations amicales dans lesquelles il est, trop souvent, le nerd, le geek, le looser, qui font qu’on prête plus attention à ce qu’il réussit ou à ce à quoi il échoue.
Oui, sûrement, on a fait des erreurs avec Grand, on lui a fait les choses à sa place, en bon premier qu’il est, on l’a rendu empoté et peu persistant en voulant lui épargner trop de peine.
Oui, sûrement, pour résoudre ce problème, on a empiré la situation en le critiquant, en insistant, en apposant avec nos mains bien intentionnées l’étiquette tant redoutée de boudeur, de fuyard, de nul.
Oui, sûrement, dans ma famille il y a un problème de confiance en soi qui passe dans le sang.
Et?
Et maintenant quoi?
Comment on fait quand son enfant est devenu cette personne?
Que dois-je faire, en tant que maman?
Je suis fatiguée de cet enfant. De cette mauvaise tête. Je ne sais pas quoi faire avec ce défaut, avec ce bagage qu’il porte ou plutôt traine. J’ai essayé différentes réponses: j’ai critiqué; j’ai montré le problème; j’ai décrit le défaut; j’ai crié; je n’ai rien dit; j’ai eu confiance qu’il allait comprendre; j’ai trouvé que c’était de ma faute; j’ai eu un haussement d’épaules; j’ai pleuré; j’ai continué à bouillir de rage.
C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent? On commence à les voir comme des personnes avec leurs défauts, qu’on ne peut plus vraiment corriger mais dont on doit attendre qu’ils décident, eux, de les corriger seuls, ou bien d’accepter de vivre avec? Et, en attendant, en tant que maman, mon rôle est-il de pointer du doigt ce qui ne va pas, de continuer à essayer de l’éduquer? Ou faut-il se retenir d’intervenir, qui serait le pire quand on croit faire le meilleur? Faut-il se rassurer en trouvant que c’est quand même un gentil garçon, avec ses grandes qualités?
Non, j’arrête le roller. Je m’ennuie. Je ne veux plus en faire. Je veux aller dessiner à l’intérieur.
C’est le soir et je ne peux m’empêcher de repenser à ça.
J’y repense et souffre, de rage, de désillusion, d’impuissance.
Impuissance. C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent?
Attendre que ça passe.
Espérer que ça passe.
S’endormir avec cette angoisse, espérer que la nuit porte conseil.
Et se réveiller et n’avoir rien trouvé.
Sentir l’ébullition encore présente, à peine refroidie par la nuit.
Et maintenant, quoi?