Le hamac
Batailles choisies #224
Un instant de bonheur en famille. Ceci dit sans ironie, comme quoi, ça arrive. 🌤
(Dimanche de Pâques)
Des petits œufs en chocolat plein les poches, mes deux aînés viennent me rejoindre dans le hamac tendu entre deux jacarandas, des arbres d’Amérique du Sud, aux feuilles d’une légèreté de dentelle, découpées dit-on techniquement, aux fleurs d’un mauve puissant. Je viens de me réveiller d’une courte sieste quand les enfants grimpent en riant et en menaçant avec malice de nous faire tous chavirer.
Nous sommes chez ma belle-mère pour la chasse aux œufs. Elle vit à la campagne, dans un grand terrain arboré.
Je suis dans un hamac à la toile pelucheuse, couleurs bleu et vert d’eau passées, brûlées par le soleil de l’été. C’est un hamac quelconque et merveilleux, que j’adore.
Un bout de branche cassée rague une des cordes d’attache. Au milieu des rires de mes petits se glissent le grincement d’un mousqueton et le frottement de la corde dont je me dis que, d’un jour à l’autre, elle claquera.
Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, on se balance vite et fort en hurlant de plaisir et de frayeur délicieuse, comme si on était sur des montagnes russes. Au contact de mes petits, je retrouve mon âme d’enfant dans cette activité à hauts risques.
Milieu, un peu étonné, me demande:
-Toi peur, Môman?
À ma réponse affirmative et pleine de comédie dramatique, il vient se blottir contre moi en me fourrant un chocolat de réconfort dans la bouche.
Grand rit parce qu’il s’est donné la mission de pousser le hamac, ce qu’il fait avec enthousiasme.
Je vois arriver mon mari qui porte Dernier dans ses bras. C’est l’heure de la tétée. Les deux grands laissent la place à notre dernier-né et partent en riant et en jouant à chat.
Je couche Dernier contre moi pour lui donner le sein. Je lui caresse le visage et le regarde téter, observe ses grands yeux bruns aux longs cils, avec son air toujours étonné de trouver là du lait.
D’un pied, je fais bouger le hamac, le berce en même temps que je me berce. Les rebords du tissu du hamac sont remontées. Nous sommes comme dans un cocon, tous les deux à partager un moment de tendresse. Sur une souche à côté qui me sert de table de chevet, m’attend un de mes livres féministes à la lecture bien entamée. Mon regard se porte vers le haut, vers les couleurs naissantes de l’automne sur les feuilles des arbres alentour. Un air vif et un beau soleil nous caressent le visage. La corde qui s‘use joue son concert inéluctable.
Aujourd’hui, la corde ne lâche pas et la félicité tient.
Il arrive certains jours que des petits plaisirs minuscules s’accumulent pour un grand moment de bonheur.