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Un peu de légèreté
 

Batailles choisies #682

Levez-vous vite, bourrasques désirées, qui devez emporter les disputes dans les grands espaces de l’amour familier! 🪁


 

Pourquoi donc l’ambiance s’est-elle viciée? L’air s’est-il alourdi? La légèreté s’est-elle envolée?

C’est dimanche, il y a pourtant eu des doux moments, des jeux tranquilles, des moments de liberté, même. Mais là, la douceur est terminée. 

Grand et Mari se sont disputés à propos de chaussures pas rangées, de questions pas bien posées, de difficultés mal explorées. Milieu a épuisé son père d’insistance jusqu’à ce qu’il accepte de taper le ballon dans la rue, sous les yeux de son grand frère à la moue fâchée, puisque Grand s’ennuie, boude, empêche les autres de prendre du bon temps - dans n’importe quel ordre. C’est devant trois sourires pincés, donc, que je me pointe, Dernier, moi et nos deux sourires grimaçants en plus. Ah oui, parce que dans notre équipe non plus, on n’a pas particulièrement passé un bon moment. Enfin, ça a bien commencé et puis ça a fini pareil qu’avec le reste de la maisonnée: moyen. Dernier s’est invité chez le petit voisin, qui devient son super copain surtout, uniquement, en raison du fait qu’il a des super jouets d’enfant unique ultra gâté. J’ai dû rester là, à faire une conversation poussive avec des parents, certes sympathiques, mais enfin pas assez fun et surtout beaucoup trop stressés à mon goût, pendant que Dernier s’éclatait avec toute la collection de camions de Cars du petit voisin qu’il a ignoré par ailleurs superbement. Après avoir sorti ma plus belle collection de sourires polis, après avoir réussi à sortir Dernier de cette caverne d’Ali Baba, nous arrivons donc, dans le même état que les autres membres de ma famille: cœurs lourds, nuages lourds prêts à crever sur un dimanche qui part en cacahuètes.


Mari propose d’un air dépité et d’un ton énervé: bon, on va lever des cerfs-volants, oui ou non?

Les cerfs volants qu’il a achetés le mois dernier sont encore dans le coffre. 

Les enfants rechignent, Mari trépigne, je ne baragouine plus et saute sur l’occasion: oh, oui! Allez hop, en voiture!


Cerf-volants, donc.


Le massif où nous allons, pas loin, est terriblement venteux en fin de journée. Il souffle un air froid à décorner les bœufs ou, dans notre cas, à faire s’envoler des cerfs-volants en quelques secondes. Les enfants rayonnent! Oh, comme ils volent haut! Oh regarde, Papa, Maman, tu as vu comme il est haut mon cerf-volant! Oh, comme vous faites bien, les enfants! Oh, comme il est doux de voir les sourires qui s’épanouissent sur leurs visages! Les soucis, les tensions, les disputes, se sont envolées…

Il faut toujours se lancer dans des activités dès que l’air s’est vicié. Car un grand coup de vent peut tout aérer…

À moins que…  


Le fil du cerf-volant de Grand s’est cassé!

Oh, non!

Il part là-bas, dans la pente de creux et de bosses, d’herbes et de fleurs sauvages touffues et urticantes! 

L’idylle familiale serait donc finie?

Grand va pleurer bouder crier?

Absolument pas! 

Mari, n’écoutant que son amour filial, court derrière le cerf-volant.

Grand, n’écoutant que son courage, court derrière Mari qui court derrière le cerf-volant.

Milieu, n’écoutant que le bruit des exclamations d’effort de son père et de son frère aîné, en oublie qu’il tient lui-même un engin volant - et le laisse s’échapper, rouleau et filin inclus.

Milieu, n’écoutant personne comme d’habitude, se lance alors à la poursuite de Grand qui court derrière Mari qui court derrière non pas un mais deux cerf-volants. 

Mari finit par réussir à récupérer celui de Grand, mais doit repartir dans la pente en soufflant comme un bœuf pour le deuxième (fils et objet volant).

Grand, tenant serré son propre cerf-volant, tente de rattraper celui de Milieu, qui s’est accroché à un arbre, en sautant de haut en bas pour récupérer la corde. Mari vient à sa rescousse, enjambant d’un pas hésitant toutes les plantes qui piquent pendant que Milieu glisse et dégringole dans la pente pour rattraper les deux autres larrons.

Le vent soufflant de plus en plus, leurs exclamations se perdent dans la montagne.  


Dernier et moi, eh ben… nous regardons cette scène et nous sourions.

C’est drôle de voir les autres dans la galère. 

J’hésite à prévenir Grand, Milieu et Mari, qui commencent doucement, cerf-volants sous l’aisselle, à remonter la pente, que Dernier a le poignet lâchant et le désintérêt croissant mais… 

Non. 

Dernier, au lieu de laisser s’envoler, par dépit, lui-aussi, le carré de plastique à motif dragon, annonce qu’il ne veut plus faire de cerf-volant, et me colle le truc dans les mains avant de s'asseoir dans la terre pour jouer avec un camion qu’il a amené. Il faut que j’enroule le fil alors que Dernier ne sait pas ce qu’il a fait du dévidoir. Je décide de l’enrouler autour de ma main, parviens bien à la moitité avant de me dire que c’est un peu idiot parce que je suis en train de me ligoter toute seule.


À ce moment-là, Mari, Grand et Milieu arrivent. Je souris, leur demande si ça a été la rando.

Mari me regarde, me sourit, me demande si j’ai l’intention de devenir un saucisson.

Tout le monde rit. Tout le monde a des épines qui piquent collées dans les ourlets de pantalon, sur les chaussures, aux manches des pulls. 


L’air devient de plus en plus frais, le ciel de plus en plus gris, il est temps de remballer, non sans remercier le vent d’avoir soufflé sur nous cinq toute cette légèreté.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

SWAP
 

Batailles choisies #677

Cherche appartement, maison (ou mari?) pour les vacances. 🔁


 

Il est 15 heures et le soleil inonde l’appartement.

Je viens de rentrer d’un déjeuner avec un ami.

J’ai rendez-vous dans une heure avec une lectrice.

Un thé fumant, un livre ouvert et du temps libre m’attendent dans un doux silence. 


J’ai dit à qui me posait la question que vraiment, la vie que j’ai au Chili est géniale, qu’elle est très douce, très privilégiée, que je ne peux pas rêver mieux.

C’est vrai.

Mais… je peux rêver, non?

Je rêve à la vie parisienne que j’ai pour quelques jours. Imaginez un peu: je suis en vacances, je revois des amies, des anciens potes, je rencontre des lectrices de longue date, je parle de mon dernier livre, j’écoute des parents en parler avec un tel amour, un tel enthousiasme que j’en ai les larmes aux yeux, je flâne dans Paris, je retrouve ma sœur adorée. C’est une telle parenthèse dans ma vie à bout, à bout de souffle, à bas-bout, en bout de course. C’est… merveilleux, de douceur, de temps, d’oisiveté déculpabilisée.   


Eh sinon, ma soeurette, euh, ça te dirait pas qu’on échange de vie? Qu’on swappe nos vies, oh, juste pour des vacances, hein! Tu viens au Chili et tu t’occupes des enfants pendant une semaine? Et moi je reste dans ton appartement et je fais des expos, je vois de gens et je bois des cafés en terrasse? Ah, non, mais t’inquiète, je te prends pas ton mec, hein. Chacun le sien: moi je viens ici avec Mari, et vous, vous allez tous les deux à la maison et vous restez avec les enfants!

Non? Tu es sûre?

Attends, qu’est-ce que je pourrai te dire pour te convaincre… Euh… ben écoute, regarde, si tu restes pendant une semaine avec les petits, tu vas courir toute la journée après les enfants, tu vas passer ta journée à penser au prochain repas, toi et ton mec vous allez à peine vous parler et vous allez passer votre temps à lancer des ordres ou des reproches, vous allez devoir séparer mes trois enfants en deux groupes dans l’espoir de survivre jusqu’à la fin de la journée, en tirant à la courte paille pour le groupe le plus galère des deux et la sortie la moins fun des deux, tu vas aussi régler des disputes pour des camions rouges, des verres bleus ou des crayons verts, tu vas être patiente, super patiente, jusqu’à ce que tu exploses parce qu’on te fait tourner en bourrique à force de te demander d’être patiente, tu vas avoir des piles de linge à laver, tu vas menacer les enfants d’une visite des pires trolls, sorcières et démons issus toutes les mythologies du monde s’ils ne se lavent pas bien les dents, tu vas terminer la journée avec la tête en citrouille, les pensées en berne et l’âme en dépression et vous allez vous écrouler à 21 heures sur le lit. 

Non? Toujours pas?

Ils te feront aussi les plus doux bisous du monde, des câlins plein de tendresse.

Non?

Ah… dommage, je pensais t’avoir bien vendu la parentalité…       


L’herbe est toujours plus verte dans le jardin des voisins. Avec cette liberté, avec ces vacances, évidemment que ma vie quotidienne si harassante ne me fait pas rêver. Bien sûr que tout ce que je vis ici n’est qu’une parenthèse et qu’il me faut prendre garde aux illusions de la reconnaissance, de la douceur de vivre, de la liberté d’une vie sans contraintes.


Je me suis ressourcée, j’ai retrouvé de l’énergie, j’ai vu la lumière… et aimerais bien la revoir avant les calendes grecques. C’est un tel soulagement de faire un pas de côté sur sa vie que je me rends compte qu’on en a vraiment besoin, alors que ni Mari ni moi ne l’avons jamais fait. Pas assez de soutien familial, une grande réticence à faire appel à des services de garde parce qu’on s’inquiète d’une galère, je ne sais pas quoi à vrai dire qui nous retient, et nous empêche.

Alors, j’insiste, cherche appartement ou maison pour échange pour les vacances. Notre maison est très agréable - enfants inclus (dans la maison, pas l’agréable).


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣