Un souffle de colère
Batailles choisies #290
La pression de la cocotte-minute maternelle monte durant la journée, jusqu’à explosion. Encore une fois où je me suis sentie faible, idiote, je me suis rongée de remords… Être parent c’est dur, encore et toujours. 😰
À la fin de cet article, je vais piquer une colère terrible sur mon aîné.
Une colère que je regrette, une de celles qui me remplissent de culpabilité et me donnent l’impression de rater monstrueusement mes promesses de mère bienveillante et encourageante.
La journée commence de façon indécise, ni vraiment bien, ni vraiment mal, sous le mauvais augure de mon épuisement habituel.
Bon, quoi? Personne ne met la table ou ne m’aide à préparer le petit-déjeuner? Ils ne font rien, c’est pas possible.
Il faut insister cinq, six, dix fois pour que les enfants s'habillent. Allez, on s’habille, on s’habille, non, à onze heures, encore traîner en pyjama! Quand même, j’en ai marre, en plus ça salit les pyjamas, je passe mon temps à faire des lessives. Allez vous habiller, bon sang!
Non, j’ai pas envie, je vais rester tout le temps en pyjama, jamais je ne mettrai de vêtements, jamais! dit Grand avec défi.
Oh, il me fatigue, Grand ce matin...
Les âpres négociations ont fini par aboutir, les enfants sont en train de s’habiller. Sauf que Grand se braque: je n’arrive pas à mettre mon pull, voilà, je ne le mets pas, s’énerve-t-il en faisant tourner son pull comme les serviettes dans la chanson de Patrick Sébastien, avant de le jeter au sol.
Cette attitude d’abandon à la première difficulté me hérisse et, pour tout dire, commence à m’inquiéter: qu’est-ce qu’il va devenir, comme garçon? Un fainéant? Comment on apprend le sens de l’effort à un enfant? Je lui fais trop de choses? Je lui en passe trop? Je devrais le laisser se débrouiller? Ignorer ses humeurs? C’est juste l’âge?
Allez, on range un peu avant de manger! Et il faut mettre la table!
Je sers un plat de nouilles aux crevettes et curry, déjeuner banco, me dis-je, déjeuner fiasco, en réalité: Grand fait la fine bouche, parlemente chaque bouchée si ça peut être la dernière, ou pas. Encore une, Maman? Parce que j’aime pas la couleur...
Oh, il m’énerve, Grand, ce midi…
Il faut insister pour qu’ils débarrassent la table, allez, allez, chacun amène quelque chose, c’est une responsabilité partagée, non, on ne va pas compter qui a amené combien de verres ou de cuillères, tout le monde fait.
Oh, il m’insupporte Grand aujourd’hui...
Comment on fait pour qu’un garçon ne devienne pas un homme qui exploite le travail domestique des femmes? Comment lui faire prendre sa part, à hauteur d’enfant? Comment? Je ne veux pas entrer dans un système de punition, récompense… J’aimerais juste que… (soupir).
Ils n’aiment pas le film que je leur ai mis, me réclament qui un dessin animé vert avec un bonhomme idiot, qui un dessin animé idiot avec un bonhomme vert, qui le dessin animé avec l’hélicoptère mais pas celui avec le train, qui celui avec le train mais pas l’hélicoptère.
Ils m’agacent, les enfants, cet après-midi!
Ils ont réclamé un goûter de début de matinée, de milieu de matinée, de fin de matinée, un goûter de début d’après-midi, de milieu d’après-midi, de pré-dîner, de post-dîner - mais arrêtez, vous allez me faire tourner chèvre à me réclamer tout le temps à grignoter comme ça! Mais Maman, je ne veux pas de la chèvre, du cho-co-lat, j’t’ai dit!
Bon, il faut qu’on s’aère la tête. On va en randonnée, d’accord? Sauf que la sortie au grand air se résume à rester à 50 mètres de la voiture et à jeter des cailloux dans la pente. Les garçons, j’aimerais qu’on prenne aussi en considération ce que moi j’ai envie de faire, j’aimerais marcher un peu, voir quelques paysages. Non, Maman, on s’en moque de ce que tu veux faire, nous on veut faire ça.
Il m’exaspère, Grand, aujourd’hui…
Ajoutez dans la cocotte les taquineries de Grand poussant son frère aux larmes, les jouets délaissés en plein milieu du chemin, les réponses dédaigneuses aux gentilles questions de la gentille maman.
On y est presque, me dis-je, le bain est fini, le dodo est à venir… Dès qu’ils sont couchés, je vais pouvoir travailler! Mon temps à moi… très bientôt...
Grand! Tes vêtements dans le panier de linge sale!
Allez, on arrête de jouer, là, c’est l’heure de se mettre au lit!
Les minutes à moi passent...
On se lave les dents!
Grand encourage Milieu à gigoter le plus possible pour que je peine à lui mettre le pyjama.
Mais c’est pas possible, Grand est insupportable ce soir!
Les minutes à moi passent...
Grand, c’est la dernière fois que je te le dis: mets ton pyjama!
Il met le haut avec difficulté puis se bat avec le bas, ne trouve ni ses jambes, ni les trous pour mettre les jambes, n’ayant apparemment pas les yeux en face des trous. Il fait tourner le bas comme les serviettes de Patrick Sébastien avant de déclarer à sa mère exaspérée: ben voilà, j’arrive pas à mettre le pantalon de pyjama, voilà, je ne le mets pas.
L’explosion.
Arrête ça! Tout de suite! Tu mets ton pyjama! C’est pas possible, tu ne sais pas mettre un pantalon, ou quoi? Comment tu peux en être là! À bientôt six ans! Et tu arrêtes de dire à ton frère de gigoter quand j’essaie de l’habiller! Arrête de pleurer, tu dois apprendre à t’habiller tout seul! Vous avez des responsabilités, toi et ton frère, j’en ai ma claque de vous les rappeler tous les soirs! Vous me prenez pour qui? Vous vous prenez pour qui?
Grand prend sa remontée de bretelles en pleine face. Je lui mets son bas de pyjama à l’endroit. Il l’enfile avec les larmes aux yeux, ramasse ses vêtements dans la salle de bains avec sa flèche au cœur, pleure en se lavant les dents et sanglote en expliquant à son père arrivé en renfort que maman s’est fâchée parce qu’on jouait alors qu’il fallait se mettre en pyjama, preuve que ma colère n’a servi à rien puisque je suis plus énervée par son absence de sens de l’effort que par les jeux arrachés à la fatigue du soir.
Je passe la soirée à être consumée par mon propre souffle de colère, impossible d’en sortir, de l’oublier. J’ai le droit de me fâcher si mes enfants m’exaspèrent. Mais comment faire quand ce n’est pas l’enfant qui m’exaspère, mais l’adulte que je crains qu’il devienne?
Demain, retrouver mon amour de mère encourageante, demain reprendre pied et ce soir, restée bée, soufflée d’en arriver là.