La marchande
Batailles choisies #591
Permanences et métamorphoses des jeux d’enfants: de l’un à l’autre sans heurts (miracle!) 💶
Dehors, mes garçons jouent à la marchande: ils ont installé les meubles de jardin en demi-cercle autour de l’amandier et ont stratégiquement placé la table basse pour servir de comptoir. A l’intérieur de l’espace ainsi délimité, ils ont fait des petits tas bien propres de ce qu’ils ont à vendre: des ballons de foot, des camions, des pistolets à turfs qu’ils ont pendu aux branches de l’arbre et des pelles (des vraies, chipées dans la cabane à outils de Papa). Dès que Dernier a compris qu’il n’était pas exclu du jeu, mais qu’il était lui aussi marchand, toutes disputes sont laissées derrière les enfants, qui ne font plus que se réjouir de nous vendre tout un tas de trucs.
- Bonjour Madame, est-ce que vous voudriez acheter quelque chose dans notre magasin?
- Ah oui, absolument! Qu’avez-vous à vendre dans votre magasin?
- Nous avons beaucoup de choses: des ballons, des pistolets, des pelles, même des camions.
- J’aimerais un ballon, s’il vous plaît.
Grand qui, bien sûr, a organisé tout ça, envoie ses commis me montrer la marchandise. Je m’ébahis devant Dernier qui exhibe fièrement ses ballons, Milieu qui conseille les pistolets, celui-ci tire les balles super loin comme ça pffiu, pffiu, Madame Maman. Ils sont trop contents de me servir. Je me sens comme dans Le bonheur des dames de Zola, à regarder les plus belles étoffes, toucher les derniers satins, assise dans un confortable fauteuil de bourgeoisie naissante, servie par d’obligeants employés. J’examine la marchandise, renvoie celle qui ne me convient pas, exige de regarder d’autres pièces, choisis, paie et récupère ma monnaie: des beaux rires éclatants et des yeux qui brillent.
Miraculeusement, il n’y aura pas de disputes entre les joueurs. Les enfants, je rentre, mais vous pouvez continuer, hein!
Du salon, je regarde le jeu continuer un peu puis évoluer rapidement.
De la marchande, on passe à cache-cache, Dernier ayant remarqué qu’on pouvait enfouir sa tête dans les ballons et se réjouir que ses frères ne le trouvent pas, s’égosillent de leurs voix aiguës pour savoir où est Dernier, mais où est donc Dernier? La partie de cache-cache s’arrête abruptement dès que Milieu prend une pelle de son père pour en faire un pistolet et que Grand crie “Aux abris, l’attaque a commencé!”. Dernier, ravi, court en tous sens comme ses aînés, qui crient de bonheur. Bientôt, heureusement, le traité de paix est signé et Milieu et Dernier utilisent à tour de rôle la pelle pour creuser un trou devant la clôture. Les jardiniers avancent tandis que Grand, devenu décorateur, prend des jouets et les place avec goût dans les feuillages et les branchages. Une partie éclair de chat perché remet à contribution les meubles de jardin. Grand propose ensuite de faire la classe à ses cadets, installant Milieu et Dernier devant lui et leur enseignant des tables de multiplications, qui rapidement, deviennent un concours de bêtises verbales, chacun criant des grossièretés de types caca-prout, tout le monde riant, les trois frères jubilant d’être ainsi à égalité. Milieu ne résiste pas, ensuite, à récupérer les ballons de foot et à taper deux trois balles entre les troncs qui font poteaux, Dernier tentant ses propres penaltys dans le vide, Grand ayant décidé pour sa part d’essayer une nouvelle discipline sportive de foot-volley-basket.
Il est l’heure de dîner. Ils m’ont fait plaisir à voir, les garçons et leurs jeux, les dynamiques fluides et bienveillantes, fofolles et amusantes. Le jardin est jonché de jouets et de jeux inachevés. Grand, tu commences à ranger? Ah, tu as déjà commencé super! Milieu? Milieu, c’est fini le match de foot, allez, tu as joué, tu participes au rangement aussi!
Comment ça, “non”?
Milieu, tu n’as rien rangé! Tu prends les pistolets et tu les mets là-haut, et les balles dans le coffre! Si, c’est juste, tu as joué aussi, c’est pas à ton frère de tout faire tout seul! Si, et après tu pourras venir dîner.
Le jeu léger est donc définitivement terminé.
Il faut revenir à ma réalité de tous les jours: marchander.