Une soirée pour le proverbe
Batailles choisies #634
La vie avec les enfants est difficile, éprouvante, éternellement inquiétante et surtout proverbiale. 🛢
Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Tout vient à point à qui sait attendre. À chaque jour suffit sa peine. Comme on fait son lit on se couche. À barque désespérée, Dieu fait trouver le port.
Je suis dans mon lit, il est à peine 20 heures. Milieu et Dernier dorment. Grand s’occupe tranquillement dans sa chambre, il m’a déjà donné un bisou de bonne nuit, signifiant qu’il se coucherait seul bientôt.
Curieusement, je ne suis pas aussi fatiguée que d’habitude. Enfin… si. J’ai l’impression d’avoir un tonneau de Danaïdes de fatigue, qu’aucun sommeil versé dedans ne permet réellement de remplir, ni de satisfaire - je crois que mon tonneau est percé de trois trous. Trois? Un pour chacun de mes enfants qui me draine toute mon énergie. Mais bref, je ne suis pas si fatiguée. Je me sens plutôt en forme. Bizarre.
Je dois bien m’avouer quelque chose, en repensant à ma soirée. Ce n’est pas un secret inavouable qu’on ne se dit qu’à soi. Non, c’est plus une lente réalisation qui met du temps à prendre, à se solidifier et n’en est que plus béton. Ça s’est bien passé. Oui, c’est vrai ça, ça s’est bien passé.
J’en suis étonnée, toute étonnée vraiment.
Dernier n’a fait aucune crise, il ne s’est pas roulé sur le sol en hurlant et en tapant le carrelage avec ses poings quand je lui ai dit que non, il n’aurait pas de jus pour le dîner parce qu’à table on boit de l’eau. Il n’a pas non plus tapé ses frères à grand renfort de coup de pieds pour jouer avec une de leurs billes.
Milieu a été adorable, il a joué avec son cadet sans jamais (enfin deux fois, mais dans mon monde ça compte comme “jamais”) se disputer avec lui. Ils ont joué à l’école, au supermarché, à l’avion.
Grand a préféré remplir, dans sa chambre, un cahier avec les noms des capitales d’Amérique. Puis, il est passé à ses perles repassables, avec lesquelles il a réalisé de jolies décorations à offrir à ses amies.
Au moment du dîner, les ventres se sont à peu près remplis et le sol n’a pas été trop sali.
Au moment de la douche, les fesses ont été savonnées, les cheveux lavés et les disputes pour le pommeau ont été écartées.
Au moment du coucher, on a lu, on a ri, on a câliné.
Les yeux se sont fermés.
C’est donc ça, ça qui s’est bien passé, ça qui est incroyable, ça auquel je ne croyais plus.
Une soirée qui s’est bien passée.
Une.
Une seule.
Une depuis la rentrée.
L’unique.
Ça - il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Il ne fallait pas espérer des repas ni des horaires qu’ils changent tout.
Ça - un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Je préfère une soirée douce que la promesse qui ne viendra jamais de fin de journée sans aucune dispute. Une seule fin de journée qui s’est bien passée donne un peu de paix à mon âme. De quoi survivre jusqu’à demain, du moins.
Ça - tout vient à point à qui sait attendre. J’ai enduré. Mais j’ai réussi.
Ça - à chaque jour suffit sa peine. Il suffisait d’endurer, de prendre jour après jour, de souffrir chaque jour en attendant que le soleil se couche.
Ça - comme on fait son lit on se couche. Sans doute, oui, à force d’essayer de survivre à Dernier, on n’a pas pris vraiment le temps ni la peine de l’éduquer, et il est devenu un petit capricieux à force qu’on cède à ses caprices pour finir la journée.
Ça - à barque désespérée, Dieu fait trouver le port. Une soirée. Merci. Mon dieu. Ça aura été long.
Je devrais donc profiter de cette soirée, ce pinacle de mes efforts.
Ou bien me coucher.
20h26. Oui, c’est mieux.
Le tonneau se remplira peut-être.
Ou il vaut mieux que je n’abuse pas de mon optimisme qui me fera passer la pire des soirées demain.
Oui.
Faire ce que doit.
Ça.