Rencontres du troisième type
Batailles choisies #652
A-t-on le droit d’être simplement une maman débordée quand on est face à ses élèves? 👽
Situations où j’ai croisé des élèves à moi (liste non exhaustive):
Au supermarché
Au restaurant
Au café
Au square
À la boulangerie
À la pharmacie
À la papeterie
Au centre commercial
À la piscine
Chez le coiffeur
En voiture, de jour
En voiture, de nuit
À vélo, avec un casque rose fuchsia sur la tête
Dans la résidence, de jour
Dans la résidence, de nuit
Dans la résidence, de jour, accompagnant mes fils aînés qui vendaient des citrons en porte-à-porte
Dans la résidence, de nuit, en trottinette, me dépêchant d’aller chercher mon aîné chez un voisin, situation curieuse où le “bonjour, Madame” que j’entends sans voir qui me l’adresse est tout aussi curieux.
C’est la conséquence logique d’habiter tout près du collège où je travaille: je croise partout des élèves, des anciens élèves, de l’année passée ou d’il y a cinq ans, des élèves de cette année, des futurs élèves qui sont en CM2 et savent qui je suis alors que je n’ai encore aucune idée de qui ils sont.
Réactions à croiser sa prof de francais (liste non exhaustive):
Saluer poliment
Ignorer superbement
Partir rapidement dans la direction opposée
Sourire timidement
Baisser les yeux abruptement
Détourner le regard gauchement
Je trouve drôle que les élèves me voient comme un alien dont on ne saurait trop s’il faut le saluer, ou s’il va vous dévorer. Peut-être craignent-ils, à ma vue, de se retrouver télétransportés dans une salle de classe pour faire une dictée? Il est bien curieux de devenir l’extraterrestre des autres, pour des mini Men in Black qui se disent que non, cette femme là-bas, avec ses enfants, ce n’est pas une humaine, non, elle en a juste la peau, si elle s’en défait, elle montrera son vrai visage, son être monstrueux réel, son identité de prof de français!
Il est vrai que je ne suis pas la prof la plus sympathique du monde, avec mon air sévère et mes sourcils froncés. Et que moi-même, je ne suis pas particulièrement douée à faire la conversation avec des élèves que je croise en dehors des salles de classe, tentant des plaisanteries de bon ton dites avec un air trop revêche pour être bien prises. Je ressens avec une certaine gêne aussi, cette croisée imprévue de mes deux mondes, celui où je suis prof, stricte, exigeante, exerçant une certaine autorité, celui où je suis mère, débordée, parfois trop fatiguée pour me battre, excédée et à la limite de perdre patience à chaque fois que je suis avec mes lambinants enfants sur le court chemin de retour à la maison. Un lieu de jonction interdit au regard extérieur, un troisième cercle, un troisième type… de personne.
Jamais aucun élève, heureusement, et c’est ma seule consolation lorsque je me sens dépassée par mes petits, ne m’a vue, rageant sur un traînard, criant sur un trainard, prête à abandonner un mouflard.
Peut-être, si cela arrive, faudra-t-il que je demande à ce film dépassé le Neurolaser, ce laser qui efface la mémoire? Si, un jour, un de mes petits sixièmes me voit prendre Dernier entre quatre yeux et lui dire que s’il continue comme ça, il sera privé de dessert, et que le Dernier en question me tire la langue et saute dans la flaque où je viens de lui interdire de sauter…
Eh, toi, là, élève, viens, viens voir, tu connais ça? C’est un laser, non, une sorte d’appareil photo inversé, qui te permet de conjuguer sans faute tous les verbes de toutes les dictées du monde. Si, si, regarde là, bien droit, et cheese!