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Le fameux village
 

Batailles choisies #687

Demander un village pour élever ses enfants est-il une hypocrisie, une gageure ou un cri pour faire la révolution? 🛖


 

Le fameux village nécessaire pour élever un enfant est totalement incompatible avec la “parentalité intensive”, écrit une mère américaine dans un post Twitter. Stephanie Murray souligne que c’est la pression à être sans arrêt un parent parfait qui rend impossible l’éducation par le village. Et qu’on aura beau l’appeler de nos vœux, tant qu’on sera considérés comme des entraîneurs qui doivent éduquer des poulains, ben, le village restera un mirage. 

 

Ça fait longtemps que je veux écrire quelque chose sur la parentalité intensive. 

La parentalité intensive, qu’est-ce que c’est, au juste? Il y a des articles qui la définissent, oui, mais pour moi, la parentalité intensive, c’est ce que je vois autour de moi: c’est cette mère qui me dit que son fils de 9 ans n’est jamais sorti seul dans notre quartier sécurisé; c’est ce tiktok d’une mère dont les bébés participent en cuisine en posant sagement des tranches de courgette sur la plaque du four; c’est ce couple de jeunes parents qui amènent tous les samedis leur fille à une école de musique promettant que tous les élèves en sortent avec l’oreille absolue; c’est cette amie perdue de vue depuis qui décide de faire l’école à la maison pour son fils parce que l’école ne parvient pas à développer son plein potentiel; c’est mon beau-frère qui va chercher sa fille à la crèche à 15h30 et passe toute l’après-midi à faire des jeux de rôle avec elle, lui donnant la maîtrise d’un vocabulaire impressionnante par rapport à l’âge de ma nièce.


C’est, en bref, le miroir peu flatteur qu’ils tiennent devant moi, mère pourtant impliquée, présente, aimante, mais qui laisse ses enfants à la garderie jusqu’à 17 heures pour ensuite les laisser jouer au foot dans la rue jusqu’au dîner, qui n’a pas réussi à intéresser ses enfants à la musique, dont les rejetons sont incapables de faire un assaisonnement de salade sans que de grosse taches d’huile viennent faire chemin de petit poucet de la cuisine à la salle de bains, dont les gosses semblent plus enclins à se la couler douce qu’à développer leur plein potentiel. 

La parentalité intensive, ce n’est pas moi. C’est une envie et une claque: ce que je voudrais être et que je ne suis pas. C’est un appel qui me tire à lui, et qui me raccroche au nez aussitôt.  


En quelques mots, la parentalité intensive, c’est la pression, folle, à minimiser les risques, à optimiser le développement, à fabriquer les meilleurs êtres possibles, les plus performants pour le monde dans lequel on vit, une approche centrée sur l’enfant tout-puissant, terriblement énergivore et chronophage

À l’inverse, le village donne l’idée qu’on ne devrait s’occuper en réalité que d’assurer la sécurité physique, un bien-être émotionnel suffisant et basta.

Basta.

Voilà bien ce que j’aimerais pouvoir dire plus souvent.   

Je regrette l’ancien temps des parents, celui où on pouvait répondre à qui nous demandait où étaient nos enfants “dehors” ou mieux “je ne sais pas”, où on ne devait pas avoir des enfants exceptionnels, où être un parent consistait à donner une nourriture adéquate, suffisamment d’amour et un intérêt limité envers le monde des enfants (ou était-ce suffisamment de nourriture, un amour limité et un intérêt adéquat?). 


Impossible que ce village existe si élever des enfants, c’est les optimiser. Impossible si c’est juste un doux nom pour l’expérience néo-libérale de mettre les parents sous la pression de fabriquer des êtres performants.

Le village, c’est nécessairement la lenteur, l’ennui, la routine, le grand air, l’imagination. Et ça me fait rêver. J’imagine qu’un village, ce serait un groupe de parents fatigués (pas toujours les mêmes hein, en système de rotation histoire de souffler), qui se retrouvent chaque après-midi au square, vont dans la forêt pourvu qu’il ne pleuve pas trop fort, font tous les week-ends la même chose, ne jouent pas avec leurs enfants mais leur montrent des bouts de bois, des châtaignes et des murets pas trop hauts sur lesquels grimper, passent leur week-end à jouer aux cartes et à faire des mots-croisés. Des parents et pas des entraîneurs dans une écurie, quoi.  


C’est Winnicott et sa fameuse mère suffisamment bonne, qui le dit: faire le moins, c’est faire le plus. Si la base est assurée, “les carences partielles de l’environnement, volontaires ou non, deviennent des facteurs d’autonomie”.

Vivent les carences.

Ben, allez jouer dehors, dans ce cas.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Mes enfants ne me manquent pas
 

Batailles choisies #678

Alerte mauvaise mère. Avis de tempête sur la maternité béate. Tsunami de non-glamour et de non-paillettes: être mère, c’est bien, être seule, c’est mieux. 🌀


 

Quand je ne suis pas avec mes enfants, eh ben… ils ne me manquent pas. 

Pas du tout.

Je n’ai pas hâte de rentrer.

Pas du tout.

Je ne me demande pas s’ils pensent à moi.

Pas du tout.

D’ailleurs, je ne pense pas à eux. 

Pas du tout.


Mauvaise mère.

Encore une Médée, celle-là.

Tes enfants devraient être tout pour toi!

Et après on s’étonne que les enfants d’aujourd’hui n’aient pas d’attache affective.


Il y en a, des mères qui disent que leurs enfants leur manquent terriblement quand ils sont en vacances chez Papi ou à la mer. Et c’est très bien. Il y a des mères qui appellent leurs enfants, qui prévoient des rendez-vous téléphoniques, qui leur envoie des textos, des cartes, qui se demandent ce qu’ils font. 

Mais moi, ben, en général, non.

J’ai trois enfants.

Mais j’aurais pu n’en avoir aucun.

Je suis heureuse d’être mère.

Mais j’aurais pu ne pas l’être et être tout autant heureuse.


Si, bien sûr, parfois, j’ai pensé à eux pendant ce court séjour en France.

Bien sûr, là, je suis à Paris, et j’aimerais qu’eux aussi voient ce que je vois. Je regarde ce square et je me dis que si j’avais été avec les enfants, je les y aurais emmenés. Ils auraient joué comme des fous. Je m’imagine avec mes garçons, ballotés dans le métro, je rêve de les voir émerveillés par le Grand Palais, par Orsay ou par les jolis bus de France. Ce qui me manque, c’est le partage, c’est l’échange, ce sont les moments de douceur, de tendresse, d’apprentissage.

Sauf que ma vie quotidienne consiste bien davantage à n’avoir d’échange avec personne et ne donner ou recevoir de l’amour qu’en coup de vent. Enfin, c’est une impression que j’ai, si souvent. Seule en France, je me sens incroyablement libre, riche de projets et de désirs… que bientôt la routine étouffera. 

Le retour sera difficile: je ne serai plus écrivaine d’abord, sœur d’abord, fille d’abord, libre pour un café, dispo pour déjeuner ou dîner d’abord. Non. Je serai mère, d’abord.  


Atterrissage forcé, retour à la maison, à la vraie vie, cœur lourd. 

Sauf que, oh mais que vois-je, là-bas, qui revient de l’école?

C’est Grand, avec ses longs cheveux et sa démarche sautillante!

C’est Milieu, avec son sourire ravageur et son air coquin!

C’est Dernier qui court vers moi en hurlant comme le petit cro-magnon qu’il est.

Ce sont les mots doux qu’ils me disent avec leurs bisous: tu m’as manqué, Maman. Je t’aime fort. 

Je suis heureuse de vous revoir, mes chéris. 


Atterrissage-baiser qui ne dure pas: mais que se passe-t-il, charme déjà rompu?

C’est Milieu qui pleure parce qu’il préférait le cadeau de Grand.

C’est Grand qui dit que j’aurais dû rester en France, d’abord.

C’est Dernier qui exige qu’on se dépêche de lui monter son Playmobil. 


C’est bon. J’ai atterri.

Fin du voyage.

Retour en Materniland. 

Mais ça va. Ça fait aller.


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