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Fermer les yeux
 

Batailles choisies #679

Quatre ans, j’ai passé à écrire un livre de parentalité, inclusif, bienveillant, non-jugeant. Mais que faut-il faire quand les parents en face de vous vous hérissent? 😵‍💫


 

Je déjeune aujourd’hui avec des amis un peu perdus de vue, de mon époque de Grenoble, couple de quadras dynamiques et leur fils désormais ado. C’est réellement agréable de retrouver comme ça, des gens qu’on n’a pas vus depuis longtemps. Je n’ai pas d’ado mais j’aime écouter ce qu’on me dit de cette vie qui va bientôt être la mienne. On partage, entre parents. Je comprends les difficultés, on comprend les miennes, on me soutient et moi je soutiens, je ne juge pas les choix…

Sauf…

Sauf…

Ce fils. 

Cette éducation qui n’en est pas une.

 

Le fils de mes amis débarque au début du repas, collé à son portable. Collé. Il rentre d’un entraînement de sport, tête baissée, visage à cinq centimètres de l’écran, les yeux rivés dessus. Il dit à peine bonjour en passant devant moi, sans faire ni une ni deux, allume la télé du salon sans lâcher son portable, qu’il met très fort pendant bien dix minutes avant que sa mère lui demande de baisser le volume, une fois, deux fois, trois fois ignorée. Quand on passe au plat principal, il faut négocier pour qu’il vienne s’asseoir, puis pour qu’il détourne les yeux du téléphone. Il est incapable d’ailleurs de ne pas tendre ses mains tremblantes qui se jettent toutes les minutes vers sa drogue à lui. Je tente de faire la conversation avec lui, je demande comment ça se passe la 3e, ce qu’il aime comme matière à l’école, il me répond vite fait sans croiser mon regard, au lance-pierre et de façon assez confuse, avant de replonger dans l’abîme de son téléphone. Lorsqu’enfin les parents se décident à lui imposer de lâcher son appareil jusqu’à la fin du repas, J. passe le reste de ce qui doit être pour lui une torture, à se lever constamment, à interrompre les conversations, à répondre sèchement et mal à moi ou à ses parents, qui ne semblent pas gênés par son comportement et ne voient clairement pas où est le problème.  


J’essaie, vraiment, de ne pas juger d’autres parents. J’essaie de comprendre. 

Mais là, je n’y arrive pas.

Quelque chose me hérisse, dans cette nonchalance, dans ce laisser-faire. Comment peut-on laisser faire ça? Comment peut-on abdiquer ainsi face à son enfant? Comment peut-on égoïstement avoir si peu d’intérêt, non, plutôt, comment peut-on avoir autant d’indifférence pour l’avenir de son enfant?

Je suis tellement hérissée, d’ailleurs, que je ne sais quel comportement adopter. J’ai le sentiment de ne pas réussir à quitter des yeux ce gamin intoxiqué aux écrans comme on ne parvient pas à détourner le regard d’une catastrophe imminente. Je ne peux rien dire non plus. Je ne suis plus si proche de ces amis, je ne peux pas débarquer en donneuse de leçons. Mais je suis réellement horrifiée. Et que pourrais-je de toute façon dire, quand il y a un tel niveau de déni de la part des parents? 

La conversation de retrouvailles en vient bientôt aux enfants et à l’école. On me parle alors des difficultés d’apprentissage et de comportement de l’enfant, sans qu’aucun lien ne soit fait avec ce qui est clairement une négligence d’éducation, et même un abandon des devoirs parentaux qui a entraîné une addiction dont j’ai bien peur que les conséquences soient irréversibles. Ce n’est pas juste aujourd’hui, qu’il est comme ça. C’est tout le temps.

 

Comment peut-on laisser faire ça?

Je ne suis plus avec des amis, non, je me retrouve face aux parents défaillants que je vois d’habitude pour mon travail. Ceux qui ne voient pas le problème. Ceux qui masquent leur irresponsabilité derrière des difficultés d’apprentissage. Ceux qui ont abandonné leurs devoirs et dont je me dis toujours: mais cet enfant, dans quelques années, il sera majeur. Qu’est-ce qu’il va devenir? Comment il va exister, seul? Eux, ils l’aiment oui. Mais cet enfant, il faut bien le préparer pour un monde où l’amour se mérite, le respect se gagne. 


Je sors de ce déjeuner avec un malaise prégnant. 

C’est culpabilisant de ne pas réussir à ne pas juger d’autres parents. Sauf que c’est juste plus fort que toute la bienveillance que je peux avoir car, pour moi, ils n’ont aucune excuse.

Je m’épuiserais trop à les revoir. Il ne reste plus, pour eux autant que pour moi, qu’à continuer de fermer les yeux.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Une émission de qualité
 

Batailles choisies #656

Résolution: être plus stricte sur les programmes que regardent les garçons. 🎯


Grand et Milieu ont l’âge où ils savent choisir des vidéos sur Youtube. En théorie, c’est bien pour leur autonomie et le développement de leurs habiletés technologiques. En pratique, ça veut surtout dire que Milieu trouve des replays de jeux-vidéos de guerre et que Grand regarde des vidéos idiotes de compétitions type Juste Prix. Comment ils découvrent ça, qui sait? Des histoires de l'algorithme et de monétisation, sans doute.

En tout cas, cet après-midi, à l’heure du temps télé, je m’assois avec les garçons, décidée à imposer que les enfants regardent de la télé de qualité. Grand et Milieu, je vais travailler à mon ordinateur, ok, mais je reste avec vous. Montrez-moi ce que vous choisissez.

- Ça!

- Non, pas ça!

- Si, ça!

- C’est moi qui choisis!

- Attendez, les garçons, vous n’allez pas vous disputer! fais-je exaspérée et dépitée à la fois que ma bonne résolution me prive d’un moment tranquille, qui risque bien d’être perdu à jouer les Salomon. Choisissez quelque chose que vous aimez tous les deux!

Grand s’exclame alors:

- Le jeu des pays!

- Oui, le jeu des pays! reprend Milieu.

Bon, le jeu des pays. Ça a l’air culturel. Sûrement un quizz sur les capitales ou les drapeaux du monde, que Grand affectionne et que Milieu accepte de regarder de bon cœur. D’accord les garçons, ça me semble très bien!


En fait de bouillon de culture, je découvre une des chaînes préférées de Grand, celle de Mr Beast, dont les millions et les millions de vues attestent la popularité. La malnommée “vidéo avec les pays” est en fait un défi sportif avec un participant représentant chaque pays du monde. Toutes les épreuves sont éliminatoires jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un gagnant, qui remporte une somme d’argent pas particulièrement impressionnante. Les épreuves sont du type: traverser un pont roulant et mouvant au-dessus d’une piscine de cubes en éponge; tirer à l’arc ou disparaître dans une trappe style potence non mortelle; faire de l'équilibrisme à des dizaines de mètres du sol; disputer un plus classique match de foot. Un mélange entre les jeux olympiques, Fort Boyard et Intervilles. 

Évidemment, avec mes yeux d’adulte, je ne vois que la publicité cachée pour des chips ou des sodas toxiques; que la scénarisation des gagnants et perdants qui en fait de participants sont davantage des aspirants acteurs; que des armées d’avocats interdisant tout danger réel et des armées de producteurs s’arrangeant pour que ça fasse vrai. Bref, là où mon fils voit un jeu vraiment super bien où on peut gagner de l’argent, je ne vois qu’une banale émission de télé, et pas des plus malignes.

Je tente de ne pas souffler d’exaspération face à la bêtise de ce programme. Mes fils ont droit à leurs goûts d’enfant. Ça leur fait quand même apprendre le nom des pays. Ils rigolent devant les chutes, les quelques gags, applaudissent aux vainqueurs. 

- Tu as vu Maman, c’est la Syrienne qui a gagné!

- Ah oui… 

- Et le Brésilien, là, il est super fort, il a terminé presque premier dans toutes les épreuves.

D’abord, je fais hum hum d’un air distrait en pianotant sur mon ordinateur avec détermination, puis avec lenteur, puis avec mollesse. Car, bien malgré moi, je me suis laissée distraire. Quand même, l’épreuve de l’équilibrisme, c’est impressionnant. Et le jeu de piste, là, avec les rayons laser, c’est évidemment complètement bidon mais c’est un bon spectacle quand même. Quoi? Il ne reste que 5 candidats! Mais qui va gagner alors?

Et de fil en aiguille, d’épreuve en ratage, de cris de la victoire en applaudissements, je finis par fermer mon ordinateur pour regarder l’Intervilles du temps des Influenceurs. 


Ma résolution était de n’autoriser en temps télé que des programmes de haut vol. Je crois qu’on peut dire que j’ai échoué. Ce programme n’est qu’une version moderne du panem et circenses, faisant appel au sens du divertissement de nos plus bas instincts. C’est, je dis bien l’avouer, du bon temps. Les enfants et moi nous serrons fort, de peur que notre candidat se loupe. Nous suivons avec angoisse les messieurs en short blanc qui doivent sauter sur des plaques tournantes, nous pensons que bon, les interviews des candidats, on s’en moque, on veut la prochaine épreuve. Il ne reste que deux candidats! Et toi, tu es pour qui, mon Milieu? Et toi, Grand? 

          

Pas sûre que ce soit une émission de qualité.

Mais c’est au moins un temps de qualité.

 

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