Bordel
 

Batailles choisies #625

De l’art de faire payer un week-end à ne rien faire à la maison avec une semaine pourrie. 🧽


 

On a passé un bon week-end, vous trouvez pas les enfants?

Ah, si, si, c’était sympa chez Abuelita. C’était plus reposant que d’habitude

Les enfants en ont vraiment profité.

Et on a eu l’impression de couper, hein, Chéri?

Bon, bref. On mange quoi ce soir?

Ah… ben… une demi-carotte molle coupée en cinq bâtonnets avec 100 grammes de couscous, une tranche de jambon, ou bien trois oeufs pour cinq personnes. Ah, si! J’ai des lentilles crues - j’en ai suffisamment, ça vous va?

Et que vont mettre les enfants, demain pour l’école? Grand peut mettre un polo blanc qui sent la transpiration, Milieu son maillot de foot préféré qui porte les marques de gazon de son dernier match et Dernier un short avec des trous, mais au moins propre. On repêchera les deux premiers dans le panier de linge sale et le troisième au fin fond du placard.

Et que mettre dans les boîtes à repas, les boîtes à goûter du matin et celles de l’après-midi? Des pâtes à rien au déjeuner, ils devraient être contents. Pour les goûters, j’ai un paquet entamé de vieilles chips, bon, ça fera un ou deux jours, j’ai des biscuits tombés du paquet et pour les fruits… alors, là, les fruits, qu'il faut mettre quotidiennement en collation matinale de l’école et au dessert de midi, là, les fruits, c’est une autre paire de manches. J’ai des pêches raplaplas, quatre grains de raisins qui se sont vinifiés moins vite que les autres, une pomme dans laquelle Dernier a croqué, des bananes noircies et des oranges d’il y a quelques semaines. 


C’est clair et net: un week-end entier parti chez la grand-mère, ça fait trop. Un week-end entier hors de chez soi, ce n’est pas gratuit. Un week-end entier à oublier qu’il y aura forcément, inévitablement, nécessairement un lundi, ça se paye. Un week-end et c’est le bordel. 


Linge sale, pulls qui trainent, alternance de pâtes et riz, crayons dans la cuisine, boîtes vides qu’on jettera bientôt, chaussures dans l'entrée, cahier, feuilles volantes, c’est le bordel.

On passera donc la semaine à faire des bougies avec des bouts de chandelle, des goûters avec des miettes de biscuit et des tenues du jour avec des piles de vêtements à ranger ou à laver qui ne font qu’augmenter et ne baissent pas du tout. 


On a pris le train en marche. On a raté le coche. On court après le métro.

Tout est un peu sale. Tout est un peu désordonné. Tout est un peu vide. Tout est un peu plein. Trop de pulls abandonnés au retour de l’école dans le panier à l’entrée, pas assez de gâteaux préférés dans les poches de sacs. Des cartes abandonnées sur la commode du salon où les jouets sont rangés - demain après l’école, promis, je les range.


Bon, il faut tenir la semaine, avec du riquiqui, de l’à-demi et du pas assez, et oublier ce que je vois partout dans la maison, à savoir du trop, du encore et du jamais fini.

Mais ça va, on s’en sort, non? On tient le bon bout! On est quoi? Jeudi?

Hein? On n’est que mardi?

Bordel.


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Tout de même
 

Batailles choisies #624

Ma vie, c’est de la m…? Et alors? Mes gosses chouinent, se disputent et me font tourner chèvre? Et alors? Par rapport à l’année écoulée, c’est du gâteau. 🍰


 

Dernier se roule par terre en pleurant au moment où j’entre dans la garderie.

Dernier a été difficile aujourd’hui, me disent les dames.

Il s’est fait pipi dessus.

Trois fois.

Il a mordu un camarade.

Il s’est disputé avec deux autres.

Il ne nous a pas écouté.

Ni pour entrer.

Ni pour sortir.

Ni pour faire les activités.

Il a été vraiment difficile, me répètent-elles, comme si le résumé des matchs de cette septième journée avait laissé la place au doute.



Je souris avec obligeance, remercie avec effusion et cache avec effort ma lassitude de ces rapports du jour, rapports d’enfant galère que j’ai, trop souvent, depuis plusieurs années maintenant.



Je peux voir tout de suite qu’il est difficile. Sur le chemin de retour de la maison, il lambine, fait de son mieux pour faire les bêtises, s’acharne à agir à l’inverse des recommandations les plus simples, des conseils les plus basiques.

Il jette un caillou qui frôle l’oreille de son frère.

Il traverse la route à l’intérieur de la résidence sans regarder à droite ni à gauche.

Il fait pipi sur le buisson d’un voisin.

Il s’asseoit sur le bord du trottoir et fait la grève de la marche.

Il se met à pleurer quand ses frères, lassés d’attendre le boulet, commencent à rentrer à la maison sans lui.



Ben oui, il est fatigué, il est tête de mule, il fait son troll. 

Ben oui, il donne envie de l’abandonner aux Thénardiers, en sachant très bien quel genre de parents ils sont.

Oui.

Il est ce soir l’enfant qu’on regrette d’avoir eu.  



Mais, tout de même… tout de même… 

Une fois rentrés à la maison, Dernier joue avec Milieu, faisant dans le jardin des petits tas bien propres de cailloux sans en jeter sur personne. Puis Dernier mange, certes boudeur, mais mange tout de même son assiette. Puis Milieu a décidé qu’il allait apprendre à s’essuyer tout seul les fesses après avoir été aux toilettes. Puis Grand annonce résolument qu’il va faire ses devoirs et s’exécute. Puis les garçons m’aident à ranger la cuisine avant d’aller jouer tous les trois, certes trop bruyamment, certes trop brusquement, certes trop brièvement sans bobos ni disputes, mais tout de même, longuement, dans le jardin.

Tout de même, les soirées sont plus faciles.

Tout de même, oui, je galère moins.

Tout de même, je sens que le poids de la petite enfance, de cette organisation terriblement contrainte et sclérosante, s’allège. 

Tout de même, j’ai réussi à terminer les goûters, les repas, les sacs pour l’école.

Tout de même, je me sens moins rincée.



Tout de même, les enfants grandissent.

Tout de même, le tunnel, c’est presque fini.


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