Trois mariages et un…
 

Batailles choisies #623

Grand livre, sous la couette et sous vos yeux ébahis, la pierre philosophale, la recette de la sagesse, le secret du bonheur.  👰‍♂️


 

Grand s’est collé à moi sur le lit. La lampe de chevet, sous son abat-jour de métal, reflète des couleurs dorées sur son visage, fait chamoirer les reflets de ses cheveux blonds. Son corps blanc me transmet une douce chaleur. Grand profite.

Grand profite de son petit moment à lui, cette demi-heure bénie quand ses frères sont couchés, et que ses deux parents, ou au moins un des deux, lui consacrent un temps seul. Que fait Grand de ces trente minutes si spéciales? Il regarde des reportages avec nous ou des vidéos qui nous plaisent et ne conviennent pas à Milieu ni Grand, il me demande ce que je lis, joue la montre, commence une discussion puis passe à la suivante, entre dans une conversation, pose des dizaines de questions de grande personne en miniature. 


Ce soir, il se lance dans un grand raisonnement sur le mariage.


Autour de lui, il y a trois mariages et (pour l’instant) un seul divorce: ses parents, ses grands-parents paternels (le divorce) et ses grands-parents maternels.


- Maman, moi, je pense que le plus important, c’est de trouver quelqu’un avec qui te marier. 

- Ah oui? Et pourquoi ça t’intéresse, toi, le mariage? Qu’est-ce que tu penses que ça apporte?

- Ben, si on a un mari ou une femme, on est avec quelqu’un. Parce que sinon, les choses, tu les fais tout seul. Par exemple, tu vas au cinéma tout seul et tu regardes l’écran comme ça. Alors que, si tu es avec quelqu’un, tu peux vivre… euh… plus d’aventures.

- Ce que tu veux dire, c’est que tu aimes bien, dans l’idée d’avoir un mari ou une femme, le fait d’avoir un compagnon ou une compagne, quelqu’un qui t’accompagne.

- Oui, voilà, c’est ça!

- C’est sûr qu'être avec quelqu’un, partager, apporte de la joie, des satisfactions. Même si ce n’est pas toujours facile. Et qu’être seul, ce n’est pas forcément une mauvaise chose.

- Qu’est-ce qui n’est pas facile, avec un compagnon, ou une compagne?

- Parfois, on ne s’entend plus, on n'a plus envie d’être accompagné par cette personne. Ou la personne ne veut plus.

- Ah, comme Pépé Luis et Abuelita.

- Oui, voilà.

- Et Papi et Mamie?

- Non, Papi et Mamie, ils sont toujours compagnons et compagnes. C’est un modèle, tu sais. Parce qu’ils apprécient leurs présences réciproques.

- Et est-ce que tu crois qu’un jour Abuelita et Pépé Luis vont se remettre à être des compagnons? Parce que quand même, ils sont tous les deux seuls.


Je ne peux m’empêcher de retenir un sourire, en imaginant ce couple désaccordé dès la première année d’union, ayant passé deux décennies à souffrir dans un mariage au point mort et séparé depuis bientôt deux décennies, de nouveau en lune de miel.


- Oh, non, tu sais, ils n’étaient pas des bons compagnons, de toute façon. Parfois, on choisit mal son compagnon ou sa compagne, ou on n’a plus envie d‘être avec la personne. Et dans ce cas, il vaut mieux être seul.

- Et toi, tu t’es déjà séparé de Papa?


Est-ce que j’ai vraiment envie de rentrer dans ces détails, dans les moments difficiles de mon couple, dans les tempêtes, dans les fatigues d’être coincés à deux. Est-ce que je peux parler de ça en dix minutes, lui dire en trois mots offerts avant d’aller se coucher, des problèmes d’adulte, de grandes personnes fatiguées, résignées, heureuses malgré tout?


- Écoute, mon chou, moi aussi ça m’est arrivé de douter si je voulais être avec ton père, et lui aussi, mais tu sais, maintenant, on est passés à autre chose: on se rechoisit régulièrement comme compagnon, comme compagne, d’accord?    


Mon enfant s’intéresse aux zones grises, sous la lumière dorée de ma table de chevet. Partout, à toute heure, dans la parentalité, peuvent sourire des éclaircies.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Le foot pour les nuls
 

Batailles choisies #622

Un match de foot amical pour l’anniversaire du meilleur ami de mon fils, ou le combo gagnant qui ne gagne pas grand chose. ⚽️


 

C’est l’anniversaire d’A., le super copain de Milieu, son coach personnel, entraîneur mention ballon rond, avec lequel il joue tous les jours à taper dans les buts. 

C’est l’anniversaire d’A., sur le thème du foot bien évidemment, et tous les invités ont sorti leur plus beau maillot, Milieu inclus. 


L’ambiance est au foot, ça oui! L’anniversaire se tient sur une partie d’un terrain du club local, tous les cotillons, gobelets en plastique, assiettes en carton, pop-corn débordant de seaux motif gazon et balles blanches et noires, participent à la fête. Côté bande sonore, c’est pas mal non plus, puisque que deux clubs du coin s’affrontent sur le reste du terrain, les bleus contre les rouges, gamins d’une dizaine d’années soutenus par les coachs, les parents, les oncles, les grands-parents, et tout le bled.


Papa, Grand, Milieu, Dernier et moi traversons cette ambiance de soir de grand match, avec le sourire: ça va être une super après-midi! Occupation sportive à l’air libre, enfants nourris (certes de chips), moment de partage.

Combo gagnant.

 

Milieu ne veut pas jouer.

Grand donne des coups de pied dans des cailloux sur le bord du terrain et attend que sa meilleure amie, J., la sœur d’A., arrête de jouer avec sa cousine et remarque qu’il est arrivé.

Quant à Dernier, il tourne autour du banquet en réclamant des chips, du coca, des biscuits, des chips, du coca, des biscuits, des chiiips, du cooocaaa, des biiiiscuits!


Évidemment, rien n’est simple quand on a trois enfants. Rien ne roule comme sur des roulettes.


- Mais Milieu, tu vas jouer, quand même? Dernier, non, non, on ne peut pas manger le gâteau sans l’anniversairé! Grand, mange en attendant que J. veuille jouer avec toi.


Les amis de A. ont tous dix ans, Milieu est donc intimidé de jouer avec des enfants de presque deux fois son âge. Il regarde, depuis un petit coin, pendant un bon bout de temps, et secoue continuellement la tête quand il est invité à mouiller le maillot. Dernier ne comprend pas qu’il est trop petit pour participer au match et va chiper la balle sous les huées des joueurs. Grand s’est rasséréné d’être ignoré en attaquant son deuxième hamburger. 


Le temps passe et, miracle, Milieu enfile un maillot qui lui arrive aux genoux mais c’est pas grave. Miracle, Grand a accepté de participer au match, il jouera avec J., les deux étant aussi indifférents au sport l’un que l’autre. Miracle, Dernier s’est rassasié de cochonneries et va taper des tirs au à peu près but avec son père. Le temps passe et, révélation, je regarde tout ce petit monde et je me dis… 


Dis donc, ils sont nuls au foot, les gamins.


À part Milieu et un autre gamin, élancé et bronzé, qui ont un mouvement plutôt élégant, un geste sportif leste et précis, sinon les autres ont la classe d’une grume, la précision et légèreté d’un lanceur de troncs, l’accélération d’un pousse-pousse et le jeu d’ensemble d’une volée de mouettes. Alors qu’à côté de nous, les bleus contre les rouges jouent leur vie, avec un talent ou au moins une application certaine, de ce côté du terrain, c’est les Brêles contre les Nases. Volées de travers, mêlées à huit, centre-droit qui slice sérieusement vers la gauche, tête qui touche plus l’air que le cuir, coup de pied mode robot, regroupement style auto-tamponneuses.

- Allez, pour la fin du match, encouragent les entraîneurs, on va faire des penaltys!

Grand marque, sans élégance, mais avec une efficacité de constructeur d’autoroute. Milieu ne veut pas tirer parce que tout le monde le regarde. A. s’élance, tire, frôle le poteau du haut et voit partir son but au-dessus des grilles, en même temps qu’un anniversaire victorieux. Il s’effondre, en larmes, sur le terrain, inconsolable, malgré les tentatives mouchoirs de ses parents. Un deuxième penalty, pour lequel l’entraîneur insiste qu’A. retente sa chance, est arrêté par le gardien. Nouvel effondrement. 

Coup de sifflet final. Milieu, qui n’a aucune conscience des émotions des autres, va demander à son super copain, à son coach personnel, qui a encore les yeux rouges et bouffis s’il veut faire des tirs au but. 

Combo perdant. 


C’est heureusement l’heure du gâteau. Le trop plein de sucre et de gras redonne de la joie à tout le monde. Les premiers enfants partent, les parents se dispersent, il ne reste que mes enfants aux mains grasses et deux ou trois joueurs chevronnés. On s’échange des passes, on taquine le ballon, on retrouve le sourire, A. sèche ses larmes.


Un frère aîné vient chercher son cadet. Il regarde les joueurs quelques minutes, voit A. rater encore un but et lâche, fort et avec une franchise toute naturelle: 

- Dis, donc, au foot, ils sont drôlement nuls!


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