Lenteurs
 

Batailles choisies #672

Éloge de la lenteur en termes éducatifs - post où, si je suis honnête, je réponds davantage à la question: comment prendre son mal en patience? 🐌


 

50 minutes.

50 minutes pour faire à peine 500 mètres.

10 mètres par minute donc. 

10 p**tain de mètres pendant les longues, très longues minutes qui séparent la sortie de l’école de l’arrivée à la maison.  

Dernier lambine.

Tous les jours, Dernier lambine pour rentrer à la maison.

Il monte et descend trois fois les grands escaliers.

Il grimpe dans un des arbres devant l’école.

Exige de monter sur la branche d’en-haut.

Redescends pour jouer sur l’esplanade.

Fait des petits tours sur lui-même pour se donner le tournis.

Exulte de faire des petits bonds à deux centimètres au-dessus du sol.

S’arrête dans un buisson pour faire pipi.

Trouve un fourré dans lequel rester assis bien 15 minutes dans ce qu’il appelle désormais “sa cabane”.

Avance à peine.

Donne un coup de pied joyeux avec un cailloux.

En lance un autre sur la route.

Me tire la langue après mes remontrances sur la dangerosité de son action précédente.

Tente d’escalader une grille de l’école.

Se met à courir et me donne de de l’espoir.

Monte sur une butte de terre devant la résidence et fait s’écraser mon espoir précédent.

S’ébroue dans la boue.

L’utilise comme un toboggan.

Plonge ses mains dans la terre.

Cherche des cailloux.

Cueille des fleurs décoratives.

Attrape des bouts de bois.

Se pend à de frêles branches ou à d’épaisses mauvaises herbes.


Il ne fait rien de terrible, en somme.

Sauf que ça m’insupporte terriblement.


Cela fait plus de 35 minutes et nous ne sommes même pas entrés dans la résidence. 

J’ai essayé tous les chantages, toutes les sucreries, tous les mots doux et tous les mots amers. Dernier n’en fait qu’à sa tête.

 

Je suis fatiguée de ma journée de cours à l’école, de ma semaine. 

Je suis plus fatiguée encore de ma maternité de jeunes enfants. 

Sans doute, si je regardais honnêtement en arrière, je me souviendrais que mes deux aînés ont été des lambineurs du même gabarit et, qu’à force de patience et de stratégie, on a réussi à survivre. Je ne les ai pas traînés par la peau des fesses, je n’en ai pas pleuré, comme j’ai envie de le faire maintenant, d’impuissance, de rage, de culpabilité de me laisser piétinée ainsi. 


On avance tout doucement. 

On avance tout doucement hors de la toute petite enfance, des crises des terrible twos, des crises pires de l’année des trois ans.


Lenteur des améliorations.

Lenteur des changements.

Lenteur interminable des retours à l’école. 

Je n’ai plus de patience pour ça. 


Une femme qui promène son chien passe à côté de moi pendant que, oeil rivé sur le portable, j’essaie d’anesthésier toute la colère, toute la rage rentrée que j’ai envers mon fils, envers moi, à cet instant précis. Elle s’arrête, me demande si c’est mon fils, là, oui, je lui réponds avec un sourire effacé, elle me dit alors d’un air de reproche que mon fils abîme les branches, ou qu’il risque de se blesser, ou qu’il est sale, une réflexion quelconque que je n’ai pas bien distinguée, mais dont j’ai distingué parfaitement qu’elle me remplissait de culpabilité.  


J’en ai marre. Je veux rentrer. Je veux avancer. Je veux sortir de là.

Je regarde autour de moi, essaie d’ignorer mon terrible troisième qui n’est peut-être pas si terrible mais qui m’exaspère terriblement. 

Une percée de ciel bleu laisse couler sur les montagnes et les carrières alentour une douce lumière de fin de journée, que plusieurs semaines grises, froides, tristes, avaient gardé sous cape. Les montagnes de la pré-Cordillère perdent d’un coup leur teinte terne et s’illuminent sous ces éclaircies dorées soudaines.


Je respire. 

Je me rappelle ce livre que mes enfants adorent, L’escargot, une histoire avec des dessins crayonnés essentiellement en noir et blanc, une histoire de petit garçon qui, largué par son grand frère et sa bande qui avancent bien plus vite que lui à vélo, rentre, penaud, dépité, en colère et en draisienne, chez lui.

Il s’arrête pour regarder un escargot grimper dans un arbre. Lorsqu’il lève ses yeux, la vue, tout en couleurs pastels superbes, d’une colline, d’une ville, au loin, lui ôte toute émotion négative dans une expérience esthétique de ravissement pur.   


Est-ce si terrible de rentrer tout doucement?

Est-ce si terrible de suivre pas à pas son escargot?


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Résultat
 

Batailles choisies #671

Résultat: ce qui arrive, succès ou échec, à la suite de quelque chose. 📍


 

Grand est parti dormir chez un copain. 

Chouette, qu’on se dit avec Mari, ah, quand on n’a plus que deux gamins, tout est plus facile. 

Résultat: tout le monde est un peu perdu.

Résultat: tout est un peu plus difficile.


On va passer une soirée tranquille.

On va dîner assis.

On ne va pas se disputer au moment de la douche.

Les couchers se feront facilement et toute la petite famille s’endormira avec un sourire posé sur les lèvres et une sérénité fondant dans les cœurs.


En prévision de notre bonheur, anticipant notre repos, pétri de nos illusions de tranquillité, Mari et moi avons bu, hier soir, un cocktail.

Résultat: on est claqués. 


De retour de l’école, Dernier s’enquiert à plusieurs reprises, étonné qu’il est de ne pas rentrer avec la clique habituelle, Maman, ses deux frères et lui-même, de savoir où se trouve l’aîné de la fratrie: “et Grand”, “et Grand”? Je lui réponds sans trop y penser que Grand est parti dormir chez un copain.

Résultat: il chouine, pleurniche sur le chemin, réclame son Grand chéri, est inconsolable.


C’est vendredi, la soirée documentaire en famille. Il n’y a que deux enfants, donc il y aura moins de disputes. 

Résultat: l’un veut regarder le documentaire sur les dinosaures, l’autre veut regarder la vidéo sur les méduses. Si je mets l’une, mon deuxième râle, si je mets l’autre, mon troisième pleure.

Résultat: il faut changer toutes les dix minutes, négocier “mais si, tu aimes bien les léopards, les éléphants, les hippopotames, comme tes peluches”, s’impatienter, abandonner la douceur et éteindre la télé en criant.    


Le tunnel bain-dodo est légèrement plus éclairé, c’est vrai: chaque enfant a sa salle de bain, a son livre, a son parent.   


La nuit passe et c’est la matinée tant rêvée. On a du temps, un adulte pour un enfant! Je vais enfin prendre le temps de jouer aux cartes avec mon petit Milieu, mon enfant du milieu qui est toujours le cul entre deux chaises. Mari veut profiter de ce moment de calme pour faire des réparations dans la maison.

Résultat: Dernier m‘empêche de jouer avec Milieu à ce tant anticipé jeu de cartes, Milieu pleure parce qu’on ne joue pas avec lui alors qu’on le lui a promis, Dernier finit par aller jouer dans les pattes de Mari, l’empêchant de réparer ce qui devait l’être.


Le reste de la journée se passe de la même manière, d’exaspération, en propositions d’activités systématiquement refusées, en disputes, en moments agréables mais sans plus. C’est comme si l’équilibre était brisé, les tentatives forcenées pour faire quelque chose de spécial ratent, on tourne autour du bonheur simple sans jamais le trouver.

Résultat: quand Grand revient, en fin de journée, le monde recommence à tourner rond, Dernier retrouve son monde, ses habitudes, les jeux se font, les équipes s’organisent et se réorganisent avec évidence, et toute la petite famille s’endort avec un sourire posé sur les lèvres et une sérénité fondant dans les cœurs.


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