Est-ce féministe de parler de ses marmots?
Batailles choisies #154
En deux mots:
Avant d’en avoir, je ne considérais pas comme féministe de parler de ses enfants, au contraire. Maintenant couches, crèches et patriarcat sont au cœur de toutes mes pensées. Deuxième article à partir de l’essai de Manon Garcia.
Un des éléments de la lutte féministe contre l’oppression patriarcale consiste à faire en sorte que les voix des femmes soient entendues et reconnues comme importantes, par opposition au système patriarcal dans lequel les hommes parlent à la place des femmes [...] et à entendre et à prendre au sérieux l’expérience des femmes.
Manon Garcia dans le premier chapitre de son essai On ne naît pas soumise, on le devient, répond à la question “pourquoi parler de soumission féminine?” par un simple “parce que parler des femmes, c’est féministe”.
En lisant le passage cité, je me suis dit qu’on pourrait changer le mot “femmes” par “mères” et que ce serait très éclairant aussi. Il suffit d’essayer d’ailleurs:
Un des éléments de la lutte féministe contre l’oppression patriarcale consiste à faire en sorte que les voix des mères soient entendues et reconnues comme importantes, par opposition au système patriarcal dans lequel les hommes parlent à la place des mères [...] et à entendre et à prendre au sérieux l’expérience des mères.
Quand on a des enfants, on en parle tout le temps. Plutôt, on a tout le temps envie d’en parler. Plutôt, on a tout le temps envie de crier ou de hurler: mais elle va se refermer cette p*tain de poussette, qui est le c** qui l’a conçue! Mais lâchez-moi les basques, les enfants! J’vous ai demandé votre avis sur l’allaitement, inconnu du square? Chéri, tu comptes rentrer à quelle heure, aujourd’hui? Une soirée avec tes amis, tu te fous du monde?
Pourtant, en même temps qu’on veut parler de son expérience dans toute sa complexité, on se trouve dans l’impossibilité de le faire: notre parole est accueillie par une simplification pénible (c’est vraiment merveilleux, les enfants, hein!), par un désintérêt nettement marqué (et sinon, tu fais quoi de ta journée, à part les enfants?), par une incrédulité notoire (non mais tu exagères, quand même, c’est pas si...) ou par un renvoi à un intérêt supérieur au sien (l’important c’est que ton enfant aille bien) qui rend notre parole secondaire, au sens propre.
Les mères ne sont pas prises au sérieux. Et comme l’analysait Manon Garcia, écouter l’expérience des mères et les prendre au sérieux, c’est féministe.
Je trouve toujours fou que l’expérience des mères soit portée par des paroles d’autorité (médecins, pédiatres) qui, de fait, les excluent, les mettent sur le banc de touche, à attendre leur tour ou une deuxième ligue pour pouvoir participer.
Pourtant, on en a des choses à dire!
Parce que parler de ses enfants, c’est aussi parler de soi, de sa relation complexe et changeante avec eux, de qui on est, de ses failles, de qui on essaie d’être.
C’est aussi parler du père de ses enfants et de sa relation avec lui.
C’est surtout parler de la société, des conditions d’exercice de notre maternité, qui est certes individuelle, mais en premier lieu collective, ancrée dans une histoire, dans des représentations.
Nos expériences, des plus petites que sont les poussettes qui n’entrent pas dans le tram, jusqu’aux plus grandes que sont la réalisation que la société marchande tourne sur notre travail parental gratuit et donc notre dos, sont importantes et dignes d’être écoutées avec attention.
Mais elles ne font pas une douce berceuse, autant vous prévenir.
Tant pis, 3, 4, en mi mineur, crèches, couches et patriarcat, à vos archets.