Le bruit et la stupeur

 

Batailles choisies #264

Le volume sonore d’une famille nombreuse peut être impressionnant. On vit dedans, on s’y habitue. Mais certains jours, j’en suis éjectée comme d’un avion en feu. Mayday. 📣


 

La dispute entre Grand et Milieu juste avant le dîner, c’est la dispute de trop. Grand vient de revenir de chez son amie, la voisine. Son frère, qui est venu le chercher à la clôture, et lui n’ont pas fait 10 mètres qu'ils se poussent, se tirent, se tapent dessus.

Il est 19 heures.

Milieu s’égosille dans des hurlements qui montent jusqu’au ciel noir.

Grand jubile dans de hauts éclats de rire, exagérant sa joie dans le but de blesser son petit frère.

Dernier, que je trimballe dans les bras, est fatigué, prend peur et se met à pleurer, perçant mes tympans, manquant de me percer le cœur. 

Ces cris de tous côtés me rompent, me vident.


La journée s’est pourtant bien passée.

J’ai tenu ma patience pendant deux crises de Milieu, de celles où il se roule par terre, pleure à chaudes larmes et hurle de toutes ses forces.

J’ai tenu ma bienveillance pendant trois, quatre, cinq disputes entre les deux aînés.

J’ai tenu ma douceur pendant les pleurs de Dernier, ce changement de couche dans le froid, ces chouineries d’être laissé dix secondes sur son tapis d’éveil, les quelques minutes difficiles avant l’endormissement.

Mais cette dispute-là juste avant le dîner me casse. C’est physique. Je sens que je ne suis plus là. Je n’arrive plus à sourire, ni à parler, ni à écouter quoi que ce soit parce que mon esprit bourdonne. L’épuisement a vaincu. Je viens de m’emplâtrer dans le mur du son. 

Ça avait été aujourd’hui, pourtant.


Pourquoi une telle mise à terre pour une dispute ridicule que les enfants ont aussitôt oubliée, se remettant à jouer ensemble? 

Demain, je participerai à un groupe de parole de mères artistes.

Je m’étais inscrite au mois d’avril, lors du deuxième confinement. Évidemment, à la mi-juin, je ne serai plus chez ma belle-mère, les enfants seront à l’école et je retrouverai un peu de normalité, m’étais-je dit.

Évidemment. 

Sauf qu’à la mi-juin, me voilà toujours chez ma belle-mère, me voilà toujours avec mes trois enfants dans les pattes, me voilà plus épuisée que jamais.

Ce groupe de parole, au lieu d’y participer avec joie, je vais le faire en jonglant avec les changements de couche, les tétées, les disputes, les jeux. J’avais envie d’écouter et de parler, je vais devoir dire chut, stop, non, taisez-vous, ou nous faire vriller la tête à tous en mettant la télé. 


Quand est-ce que je retrouve le silence d’une maison vidée de ses enfants? 

Quand est-ce que je retrouve ma maison, ma vie?

Quand est-ce que je me retrouve, moi, si à force de bruit je n’entends plus rien d’autre que mon sanglot discret à la table du dîner?


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