Batailles choisies #405
Un grand chapitre de ma vie touche à sa fin: RIP, jogging! 👚
J’ai sorti un pantalon droit et un petit haut crème sans tâches. C’est dire comme l’heure est grave. Je reprends le travail après un an de congé maternité, et avant lui un an de télétravail. Deux ans à être à la maison. Deux ans à être fagottée comme l’as de pique, à remettre sans les laver des vêtements tâchés, troués, élimés puisque la journée se passerait avec les enfants ce qui implique nécessairement que mes vêtements finissent plus tâchés, plus troués, plus élimés. Deux ans à ne mettre en bas que des joggings, en usant jusqu’à la dernière corde mes hauts d’allaitement.
C’est amusant comme la perspective de reprendre le travail, rentrée scolaire oblige, me fait reconsidérer les deux années passées en télétravail, en confinement long, total ou partiel, en congé mat, de nouveau en confinement total, puis dans un semblant de retour à la normale.
Deux ans, trois joggings. Vêtue alternativement du vieux rose, du gris clair et du gris foncé, j’aurai pleuré de devoir encore tenir jusqu’au soir alors que les enfants me grimpent dessus, que je dois absolument préparer mes cours, que je n’en peux plus, me sens en pleine noyade, qu’il n’est pas 11 heures du matin ; j’aurai désespéré que Dernier ne fasse pas de sieste alors que j’ai juste besoin d’un petit temps à moi; j’aurai hurlé intérieurement de me retrouver prisonnière d’une vie de famille que je n’ai pas choisie, pas celle-ci, pas comme ça; j’aurai usé des forces, fait naître des cheveux blancs et des rides. Pourtant… ce n’était pas si terrible, si?
Vêtue de vieux rose, de gris ou de gris foncé, j’aurai aussi, curieusement, été heureuse. J’ai vu mes enfants grandir, changer. J’ai eu un troisième enfant. J’ai vu comment notre vie à tous, pour différentes raisons, s’embellissait. J’ai écrit, beaucoup - beaucoup plus que je n’aurais cru possible.
Je me demande si les pantalons droits et les petits hauts propres, alors que je range mes joggings, contiendront dans leurs fils autant d’histoires, dans leurs trous autant de mots, dans leur usure autant de batailles. Peut-être que cette femme qui s’habille correctement, sobrement, classiquement, à la parisienne, n’a rien à raconter? Alors que celle-ci, dans son jogging aussi usé qu’elle, a beaucoup écrit parce qu’il fallait bien qu’elle existe?
Reste à espérer que sous mon gilet blanc immaculé que je n’ai pas mis depuis deux ans, sous le haut dont le motif en strass m’a fait craindre le pire dès que mes enfants auraient les yeux sur ces choses brillantes, sous le pantalon droit bleu marine, ma couleur préférée, resteront ma volonté qui écrit, mon cœur qui s’épanche et mon âme délavée, tâchée de bonheur et de peines, mon âme de jogging.