À Sancho

 

Batailles choisies #275

À quoi sert mon mari? Don Quichotte m’aide à répondre à cette épineuse question. 🛡


 

J’ai dédié mes deux premiers livres à mon mari: la dédicace dit “à Sancho”, un surnom d’après un personnage du Don Quichotte de Cervantès.

Depuis dix ans, mon mari et moi nous amusons que l’un de nous est Don Quichotte, le chevalier un peu zinzin du roman, et l’autre est Sancho, son fidèle serviteur, admiratif autant que las, souvent résigné et constamment inquiet pour l’homme à la triste figure. 


Ai-je besoin d’expliquer lequel est lequel dans notre couple? 

Don Quichotte, c’est celui qui vit des aventures, même ridicules, souvent illusoires, celui qui s’engouffre avec toute son âme dans des idées fixes sans fondement mais avec une certaine poésie, celui qui n’a pas peur d’affronter des ennemis imaginaires avec des moyens dérisoires.

Sancho, c’est celui qui, derrière le chevalier, porte les sacs sur son baudet.

Lui et moi nous reconnaissons bien dans cette dynamique, les deux personnages n’existant pas l’un sans l’autre. J’ai des dizaines d’idées et autant de projets, qui parfois prennent l’eau, parfois font de mauvaises rencontres, parfois fonctionnent alors que personne ne misait une peseta dessus. Lui m’accompagne, lentement mais sûrement avec son mulet, y portant tout ce qui nous permet de former famille, papiers de banque, charge administrative, optimisme tranquille. Je trouve les deux personnages également sans gloire mais pleins de personnalité. 

Le compagnonnage entre ces deux personnages riches et attachants est d’ailleurs ce que je trouve le plus touchant. Il faudrait que je le relise, mais j’ai des souvenirs des conversations entre les personnages, joyeuses et désenchantées, légères et ironiques, qui nous collent bien à la peau:

-Oh, regarde, chéri, des moulins! J’y vais, ne me retiens pas!

-Chérie, prends au moins une assurance accident corporel!

-Mon amour, nous allons prendre les enfants et partir au bout du monde vivre dans une roulotte!

-On revend la voiture, alors?  


Je ne sais pas si je dédierai mes prochains livres à Sancho. Je ne sais pas si je dépasserai cette impression que la dédicace manque de naturel. Je la trouve un peu artificielle, comme la marque d’une écrivaine plus jeune, manquant de confiance. Mais je pense à Nabokov qui a dédié tous ses livres à sa femme Vera et j’aime cette route parcourue à deux, l’un cliquetant dans son armure rouillée, l’autre cahotant cahin-caha à hue-dada.

Ce dont je suis sûre, en revanche, c’est que Sancho est aussi important que Don Quichotte et qu’il est partout, à mes côtés, dans mes livres et dans tout ce que j’écris. 


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Heloise Simonmari, écrivaine