Qui suis-je?
Batailles choisies #675
Ça y est, je suis assaillie par le doute qui se glisse dans la question “qui suis-je?”. Syndrome de l’imposteur, crise de la quarantaine, peur de la page blanche, ras-le-bol du petit prof, vide post-accouchement? Mais en fait, je suis écrivaine ou non? Et si j’avais tout raté? 🚣♀️
J’ai échoué.
J’ai raté, voilà.
Je ne suis personne.
En tout cas, je ne suis pas écrivaine.
Ou bien écrivaine du dimanche.
Un sentiment d’échec laisse en moi son goût amer.
J’ai l’impression collante d’avoir pris un chemin qui m’a éloigné irrémédiablement de la réussite littéraire. Je me sens perdue, vidée, lésée, trompée, désillusionnée, tout à la fois et un peu plus encore.
Pourtant, j’essaie, j’essaie, de l’emprunter ce chemin; de la suivre, cette pente; de le descendre, ce cours d’eau. Je pagaie, plutôt non je rame, plutôt non je galère, et je me sens tout de même entraînée loin des rives riantes et vers l’oubli des grandes profondeurs.
Oui, je viens d’écrire un livre, un gros livre, qui a demandé un travail intense, qui m’a formidablement enrichie et qui a pris le chemin d’une diffusion que je n’aurais à peine pu espérer...
Mais…
Mais le fourmillement des projets littéraires, petits, puissants, pétillants, d’il y a à peine cinq ans, s’est tu.
Mais mon deuxième roman est en plan depuis des mois, des années même.
Mais mon blog n’a jamais trouvé de large public.
Mais j’ai l’impression de m’accrocher à l’écriture de Batailles choisies comme à une bouée, sans pour autant y mettre le cœur et l'énergie nécessaire pour que les textes vaillent la peine d’être lus, partagés, adorés.
Ça ne décolle pas.
Ça en reste là.
J’aurai quarante ans et je n’ai pas décollé.
J’aurai quarante ans dans quelques mois et je ne suis pas arrivée à être une jeune écrivaine pleine de promesses. J’ai vieilli avant même d’avoir percé.
Parfois, tout ce que je veux en tant qu’autrice, c’est avoir l’impression que ça avance - même à petits pas, même pas à pas, même en faisant les cent pas si à un moment, je pourrai enfin sauter le pas d’un peu de reconnaissance littéraire.
Mais non.
J’ai plutôt l’impression que c’est un pas en avant, deux en arrière.
C’est donc comme ça qu’on sort de la carrière littéraire, qu’on a été artiste dans sa jeunesse mais qu’on ne l’est plus, aujourd’hui?
Et qu’est-ce qui m’a poussé dans les chutes d’eau, alors?
Bien sûr, j’aimerais dire que les coupables sont mes enfants, qu’ils m’ont mangé tout mon temps libre, toute mon énergie, tout mon désir d’écrire, d’exister par moi-même. Sauf que ce sont eux aussi qui me poussent à grandir, à mûrir, eux qui me donnent la matière de ma vie et de mes livres, eux qui m’enrichissent plutôt que m’appauvrissent.
Bien sûr, j’aimerais dire que le coupable est mon mari, avec qui il faut négocier pour avoir du temps libre à consacrer à l’écriture. Sauf que c’est lui aussi qui m’apporte le soutien dont j’ai besoin pour avancer.
Bien sûr, et c’est le seul coupable que je condamnerai réellement, je peux dire que j’ai trop de travail à l’école, que je suis trop prof, que je devrais arriver à me dire, non, décidément il faut réduire la voilure en termes de préparation et de correction, que je dois le mettre au second plan. Sauf que j’ai besoin de ce travail et que l’arrêter n’est pas envisageable.
En réalité, surtout, la coupable, c’est moi, non? C’est moi qui ai manqué d’ambition et qui ai par conséquent manqué ma cible! C’est moi qui n’ai pas su saisir les choses, qui n’ai pas travaillé assez, qui n’ai pas assez sacrifié, qui me suis laissé porter, parfois, laissé vivre, qui n’ai pas su mettre fermement mes désirs en ordre hiérarchique et n’ai pas continué à me battre pied à pied pour la moindre minute de travail!
Je peux regarder rationnellement mes doutes, les passer au prisme de la logique: je viens de terminer un très gros projet littéraire, est-ce bien étonnant que j’aie besoin de temps pour penser avoir un autre enfant après un accouchement difficile? J’ai objectivement accompli des choses. J’ai créé. Que personne n’en parle est un autre problème. J’approche aussi de la quarantaine et je considère aussi avec plus de distance toute cette agitation sympa et stérile des cercles d’idéalistes. J’ai une vie avec ses douceurs et ses failles, il faut que je travaille avec. Et je n’écris pas assez, en ayant l’impression que tout le monde écrit, fait, réussit plus que moi.
Malgré ces bonnes raisons, l’amertume reste en bouche…
Les frustrations se figent.
D’où, dernièrement, l'impression que je dois d’abord répondre “prof” puis “écrivaine aussi”, à la question “que fais-tu dans la vie?” alors que je faisais l’inverse l’année dernière encore?
Que vais-je faire maintenant?
Qui vais-je être?
Et où m’emporte ce courant?