Francognol
Batailles choisies #302
- Maman, viens voir, vite! Je pisse dans la cuisine! - QUOI??!
Les enfants bilingues: joie, amusement et inquiétudes. 🤓
Mes enfants parlent français (maman et école) et espagnol (papa et pays). Grand, 6 ans dans quelques mois, est passé par différentes étapes d’apprentissage de ses deux langues.
Je me suis amusée à chroniquer ce cheminement dans lequel ses frères s’engagent aussi (Milieu a 3 ans) ou s’engageront (Dernier gazouille pour l’heure dans l’esperanto du bébé, le langage universel des bou, bah, pffff et bvvvvvv).
Avant de donner quelques étapes que j’ai pu observer, je voulais m’amuser à noter les faux-amis type pisser/pisar qui m’ont donné parfois des sueurs froides, plus souvent des éclats de rire.
- Maman, viens voir! Je pisse dans la cuisine!
- Comment ça?! Aaah, tu marches dans la cuisine alors que ton père t’a dit que le sol était mouillé! Ouf, j’ai eu peur.
- Peur de quoi?
- Non rien…
(pisar: marcher)
- Papa, il faut absolument taper le bébé!
- Non, on condamne fermement la violence!
- Hein? Il faut le taper avec une couverture pour pas qu’il ait froid.
- Ah oui, quel grand frère attentionné!
(tapar: couvrir)
- Écoute maman... le chien ladre.
- C’est élégant, comme formulation, dis donc.
- Oui, ouaf ouaf, il dit, c’est élégant!
(ladrar: aboyer)
- J’adore le jus de limon.
- Tu es sûr? Ça a pas l’air terrible.
- Mais si, quand on cueille le limon dans l’arbre, qu’on fait un jus avec un peu de sucre!
(limon: citron)
C’était un mini florilège des mignonneries linguistiques de mes mini-bilingues.
Maintenant, pour le cheminement!
Voici différentes étapes qu’en tant que maman j’ai pu observer, de façon empirique, avec délices ou inquiétudes inutiles, pour ceux que ça intéresse.
(Quand je dis “les enfants”, je parle des miens - à prendre avec la bonne distance donc!)
Avant deux ans:
Les enfants retiennent simplement des mots, dans l’une ou l’autre langue. Une voiture est désignée comme “wouature” ou bien “auto”, mais on a choisi son camp. On ne désigne une chose que par un seul mot car la règle une chose = un mot est évidente. Les enfants qui ont plusieurs langues dans leur entourage parlent un peu plus tard, le temps de trier les informations, ce qui fait que j’ai été fort vexée quand la dame de la crèche m’a dit que mon fils présentait un certain retard dans l’acquisition du langage. Je n’ai pas dit mais enfin, Madame, mon fils parle deux langues, ça prend plus de temps, renseignez-vous, mon fils n’est pas en retard - mais je l’ai pensé. Touchez pas à mon fils, ok!
Entre deux et trois ans:
Les enfants fabriquent un gloubigoulga maison, mélange de français et d’espagnol, c'est-à-dire beaucoup de mots de l’un et quelques mots de l’autre. Une des deux langues est majoritaire, en particulier pour la syntaxe. Pour Grand, à cet âge, c’était l’espagnol puisque c’était la langue de la crèche. Je me souviens m’être beaucoup inquiétée qu’il ne parlait pas du tout français à cet âge. Il comprenait tout ce que je lui disais, mais il parlait très peu. Je l’imaginais, à son entrée en maternelle, ne rien comprendre, regarder la maîtresse avec effroi, pleurer, finir tout seul - inquiétude inutile.
Pour Milieu, le confinement m’a donné l’occasion d’observer quelque chose d’assez amusant à propos de la langue majoritaire: tout le temps de confinement à la maison avec Maman, il a parlé français. Il parlait donc davantage français que son grand frère au même âge. Et puis, retour de bâton et à la crèche, l’espagnol a repris le dessus comme langue majoritaire. Milieu aura donc dit de 2 ans à 2 ans et demi: Môman, moi veux le camion de bombero, puis de 2 ans et demi à 3 ans: Môman, yo quiero el camión de pompiers.
Môman ne change pas parce que Môman reste toujours Môman.
Entre 3 et 4 ans:
L’interrupteur se met en place. Ce switch, qui permet de passer sans difficulté de l’une à l’autre langue, commence à marcher. Grand à cet âge était capable de parler soit espagnol, soit français. Il peut donc dire dans un même souffle: Maman, tu veux de l’eau? Papa, quieres agua?
Par contre, il ne conscientise pas la langue dans laquelle il parle. Il n'identifie pas vraiment qu’il change de langue d’une phrase à l’autre. Si on lui demande comment on dit “rose” en espagnol, il est capable de répondre “pink”. Il ne comprend pas non plus que d’autres personnes ne parlent pas l’une ou l’autre langue, d’où un certain nombre de bides chez les proches qui disent “Oh, tu parles français, moi je ne sais pas!”, exclamation admirative accueillie avec une certaine hauteur, du genre: c’est pas bien compliqué quand même.
Pour Milieu, 3 ans depuis peu, le switch est presque là. Il commence à parler soit l’une, soit l’autre. C’est le tout début de la différenciation en fonction de son interlocuteur, pour lui. Il m’a demandé il y a quelques jours: moi amène des assiettes su’ la table? Alors qu’il y a quelques semaines, il m’aurait plutôt dit: moi amène platos su’ la mesa?
Entre 4 et 5 ans:
Les deux langues sont nettement identifiées. Il ne se trompe jamais de langue en fonction de son interlocuteur: Grand ne me parlait jamais en espagnol, et ne parlait jamais en français à son père, alors même que celui-ci lui parlait en français. Il devait le prendre pour un imposteur du français: non, mais fais pas genre tu parles français, je sais que tu es chilien, d’abord.
Il a compris la logique des deux langues, puisqu’il invente des mots en espagnol ou en français, qui répondent à une logique, qui sonnent justes. C’est l’âge des mignonneries linguistiques dites en toute confiance: le chien ladre, ferme la puerte, etc. Il a aussi compris que les syntaxes des deux langues sont différentes. Par exemple, il dit “a mi me gusta el chocolate blanco”, mais “j’aime le chocolat blanc” et non pas “à moi j’aime le chocolat blanc”. Il ajoute aussi “miam”, mais ça, c’est autre chose.
De 5 à bientôt 6 ans (dernière date observée):
Grand est capable de traduire pour quelqu’un d’autre. Si son amie Colombina lui demande comment on dit “adios” en français, il va dire ”on dit “au revoir”” et il corrige la prononciation. Il a dans sa tête la conscience de deux langues et de leurs différences. Le switch est d’une rapidité fulgurante: il change de langue au milieu d’une phrase s’il change d’interlocuteur en ce même milieu. Il traduit d’office pour ceux qui ne savent pas: Abuelita, maman a dit que ton gâteau était délicieux. Il a quelques calques dont il n’arrive pas à se débarrasser, par exemple “je me suis bien porté” pour “me porté bien” (qu’on traduit en fait par “j’ai été sage”).
Il y a beaucoup d’autres choses à observer, mais je laisse le travail de fond aux spécialistes!
Et la suite? Ma question pour l’heure, c’est: quelle sera la langue de la maisonnée? Entre frères, quand ils seront tous bilingues, que va-t-il se passer?
Je ne sais pas mais à défaut de mener une étude sérieuse, je continuerai ma chronique de maman amusée.