Batailles choisies #580
La mignonnerie de mon fils de deux ans et demi: un babillage incompréhensible couplé à des expressions faciales hilarantes. 🤩
Le mot préféré de Dernier est “kawéwété”. Parfois prononcé également “wéwété” tout seul, ou également “wawéwété”. Dernier l’utilise tout le temps, pour répondre à nos questions sur son menu de choix du dîner, pour nous raconter sa journée, pour parler de la couleur du camion-toupie qu’il a vu dans la rue, ou du toboggan qu’il a emprunté avec délices aux jeux tout à l’heure.
À l’âge qu’il a, Dernier connaît une explosion linguistique: il chante, il a des conservations longues, enchaîne phrase sur phrase, nous parle d’un air entendu, avec des intonations variées et diverses, parfaitement adaptée à la discussion en cours.
- Et tu as joué avec lequel de tes camarades à la crèche?
- Benja lui jardin kawéwété.
- Ah oui, d’accord. Et c’est vrai qu’en rentrant, on a vu un camion-benne?
- Si! Un camion-benne, un camion-benne con la rueda grande awéwété.
Que veut dire “kawéwété”? Est-ce un mot qui vient de l’espagnol, ou du français? Qu’en sais-je? C’est de toute évidence pour Dernier un mot essentiel qui lui permet de convier des dizaines d’idées et d’émotions différentes, bien qu’on ait du mal à traduire ce qu’il dit. Pour nous, ses parents, il s’agit donc surtout de deviner ses sujets de conversation en fonction de la tête qu’il fait.
- Poqué la tía retó y kawéwété, dit Dernier en fronçant le nez et en plissant la bouche d’un air interrogatif - sans doute se demande-t-il pourquoi un enfant à la crèche s’est fait gronder alors qu’il n’avait rien fait.
- Awéwété de la tottinette super lapido, dit Dernier, heureux comme un fou, les yeux grand ouverts et les dents blanches étalées en un immense sourire de joie contagieuse - certainement awéwété est une exclamation exprimant la joie simple d’une balade au dehors!
- No, non, no quiero! Kawéwété! souffle-t-il d’un air soucieux, front bas, regard baissé, léger pincement des lèvres comme le regret qu’éprouve celui qui se mord la langue pour enfouir à jamais un secret - peut-être Dernier a-t-il fait une grosse bêtise qu’il est préférable de cacher pour toujours dans son cœur honteux?
- El Doudou hizo y dijo awéwété le piano, admet une petite voix fluette, dans un aveu charmant qui se dénoue avec douceur de ses joues rondes - il est très probable que Dernier ait fait une déclaration d’amour à sa chérie d’amour, sa maman donc.
Qu’il est amusant de voir sa tête se transformer ainsi…
Nous avons un livre à la maison qui s’appelle Mes émotions en expression, écrit par Alain Rey et Danièle Morvan, illustré par Roland Garrigue. “Avoir le cœur gros, en rester baba, voir rouge, être comme un poisson dans l’eau”, différentes expressions sont expliquées en même temps que les émotions elles-mêmes: qu’est-ce que la joie, la colère, le dégoût, la peur, et toutes leurs nuances. C’est un livre que j’ai acheté en me disant que mes enfants s’y intéresseraient dans quelques années, quand ils seraient plus grand, un livre que mes enfants ont en fait adoré tout de suite et qu’ils y ont trouvé, à leur différents âges, à leur niveau à chacun, d’un intérêt immense. Ils adorent regarder les illustrations hilarantes, écouter avec attention ces expressions nouvelles dont ils ne comprennent pas le sens réellement mais qui les enchantent, par leur bizarrerie, leur drôlerie, leur imagerie. Les dessins font le plaisir de mes petits: les filles et garçons sont dessinés avec des expressions géniales, drôles, des sourcils relevés et des moues pincées, des yeux hilares et des langues tirées, des fronts lancés en avant ou des bouches qui crient silencieusement des insanités.
Les trois enfants passent par des périodes où ils adorent ce livre et ils demandent à le lire tous les jours. En ce moment, c’est Dernier qui l’adore. Je crois que ça m’aide à comprendre “kawéwété”. Kawéwété, c’est peut-être sa manière de nous dire qu’il est d’une humeur de chien, ou qu’il se sent pousser des ailes, qu’il veut être six pieds sous terre, ou qu’il est gai comme un pinson. Il me semble d’ailleurs que Dernier, avec ses yeux si expressifs, ses moues enjôleuses, ses froncements colorés, aurait pu servir de modèle pour toutes ces émotions et illustrer parfaitement ce livre.
Ou est-ce sa petite Maman qui est juste fière comme Artaban?