Exploitation
Batailles choisies #371
Mais enfin, ma brave dame, c’est fini, l’exploitation des hommes sur les femmes! On est dans le 21e siècle, le marxisme, c’est daté, le mari n’exploite plus sa conjointe! Attendez, chut, mon mari est en réunion de télétravail avec ses chefs… que dit-il? 👒
L’exploitation maternelle dans le cadre patriarcal peut se définir ainsi: “forme historique de l'exploitation de la femme par l'homme consistant à utiliser le travail maternel, domestique et parental, pour produire, dans l’intérêt de l’homme, de la plus-value.”
Une des choses qui me soufflent le plus dans les études sur les inégalités entre mères et pères (dans le cadre du couple hétéro), c’est le fait qu’il y a, pour le père, un effet bénéfique à être père de trois enfants et plus.
C’est fou, non? Qu’une mère de trois enfants soit, de fait, mise au placard, plafonnée dans son travail, ça n’étonnera personne. Mais qu’un père, non seulement ne souffre pas dans son travail d’être père de famille nombreuse, mais même en tire un bénéfice, un avantage, une plus-value, c’est incroyable, hein, tu ne trouves pas mon chéri?
- Mouais, bof. Ton étude, là, je suis pas sûr qu’elle s’applique à tout le monde. Franchement, est-ce qu’”exploitation”, c’est pas un peu fort?
- Mais si, “exploitation”, je pense que c’est le bon terme: c’est vraiment une utilisation du travail, du travail domestique invisible qui fait tourner la maison, du travail parental qui soigne et élève les enfants. Ces deux pans du travail invisible, ce sont eux qui permettent au mari de faire ses heures de travail, d’être un travailleur disponible, en plus de donner l’image du bon père de famille alors qu’il est globalement absent pour sa famille.
- Hmmm. Je suis sceptique, quand même. Les féministes, elles sont un peu restées dans le XXe siècle, excuse-moi de te le dire.
C’est un matin calme, sieste, école et crèche, m’offrant le cadeau de la triade du silence, du temps et du travail.
J’entends depuis le salon, mon mari qui est en réunion dans le bureau. Mon mari est un type sympa, chaleureux, plein d’humour, apprécié de ses collègues. Je tends l’oreille et reconnais cette voix de travail, officiel, qu’il adopte. Pas fausse, hein mais sa voix de boulot, équilibre admirable entre sincérité, compétence et discussion informelle autour de la machine à café. J’en mettrai, d’ailleurs, ce matin, ma main au feu, qu’il est en réunion avec sa cheffe et ses chefs.
Mais qu’est-ce qu’il raconte, là? Il parle des enfants…
Ah, non, nos enfants, ils sont plutôt autonomes. Ils regardent pas beaucoup la télé, d’ailleurs, à la maison, il n’y a pas la télé. Non, non, c’est vrai, c’est pas une blague!
Les Chiliens sont extrêmement télévores - écrans plats dans toutes les chambres, la cuisine et le salon, c’est la norme.
Nous n’avons pas la télé, certes, (nous avons un vidéo-projecteur et un écran rétractable, hein, les soirées télé parfois ça sauve des vies) mais cette absence a été une sacrée bataille, et continue à l’être: je fais beaucoup d’effort pour ne pas proposer systématiquement, quotidiennement un temps d’écran. Je m’épuise parfois à organiser des sorties, à organiser des journées entières pour ne pas y recourir, ou le moins possible. Je me bats aussi avec mon mari pour qu’il ne leur mette pas de dessins animés par facilité - et si on faisait plutôt du vélo?, et ne casse pas tous mes efforts.
Bref, éviter, limiter, encadrer serré la télé, c’est un gros boulot.
La discussion autour d’un café virtuel continue depuis le bureau. J’entends les exclamations admiratives, ah, bon, pas de télé, mais aucune? et ils font quoi tes enfants, des jeux de société, c’est génial, ah franchement, chez moi, quelle plaie, on se dispute tous les jours pour le temps d’écran, c’est comme des drogués! Vraiment, bravo, hein, chapeau à toi!
Chapeau?
Chapeau à qui? J’ai peur de n’avoir pas bien compris, certainement des troubles de l’audition.
Quoi? Même pas le chapeau qu’on lui tend est mis sur la bonne tête? Quoi, même pas il n’en coiffe la bobonne à bob qui fait tout le boulot alors qu’il récolte tous les lauriers?
Curieux…
Sans doute une erreur, ou un problème de connexion, il a dû entrer dans un tunnel…
Cette utilisation de mon travail parental pour briller au travail…
C’est bizarre, ça me rappelle quelque chose…
C’est comme une sorte de…
C’est marrant, j’ai le mot sur le bout de la langue…
EX-traction… une histoire de puiser un minerai… hmmm… non, c’est pas ça.
EX-foliation… non plus… pourtant ça gratte, hein.
EX- orbitant… non, mais il y a certes, là, une énormité.
Je ne trouve pas le terme exact, une histoire d’ex, quelque chose de marxiste, en tout cas quelque chose qui me donne envie de sortir EX-calibur.