Beau jeu
Batailles choisies #541
Coucher de soleil sur le Pacifique, difficultés suspendues sur la maternité, roulis des vagues qui me susurre: tu as le droit d’être heureuse d’être mère. 🌊
J’ai beau jeu de trouver que le plus dur est passé.
J’ai beau jeu de trouver que mes enfants sont plus tranquilles, plus faciles.
Évidemment: ce sont les grandes vacances.
Évidemment: on est en week-end à la mer avec mon beau-frère, ma belle-sœur et leur petite.
Évidemment: on est logés dans un confortable quatre pièces en front de mer.
Evidemment: quatre adultes pour quatre enfants, le ratio est aussi agréable que l’appartement.
Évidemment: j’ai pris la décision courageuse et difficile de ne pas avoir l’ambition de travailler, ce qui me laisse toute place et toute tête pour profiter du week-end.
Évidemment: les jours passés, les quatre enfants ont fait une sieste en même temps - un air de miracle flotte donc sur notre week-end.
J’ai beau jeu, alors, de trouver mes enfants mignons, intéressants, de les trouver autonomes, plutôt capables de s’occuper seuls, de n’oser croire puis de m’ébahir tout de même qu’enfin, c’est pour aujourd’hui, ce moment où les soucis de la petite enfance sont définitivement derrière moi.
C’est la fin d’après-midi. Deux jours merveilleux sont déjà passés. Mes garçons ont profité de l’air marin, ils ont fait des châteaux de sable ou bien des pâtés, dépendant de leur niveau de motricité fine. Ils ont dévalé des dunes en riant. Ils se sont émerveillés d’oiseaux exotiques qu’un parc ornithologique pas très loin pouvait offrir à leurs regards, ont observé avec délices leurs couleurs chatoyantes, moirées, leurs verts, leurs rouges superbes. Ils se sont émerveillés des canards de la lagune d’à côté car les enfants ont l’esprit démocratique et aiment autant les aras que les coincoins de quartier. Ils ont fui, en hurlant de rire, les vagues du Pacifique qui venaient s’écraser avec un doux fracas contre le sable gris et sur leurs pieds. Ils ont tenté de faire voler des cerfs-volants. Ils n’ont pas mangé un seul légume. Ils ont été follement heureux. Et moi aussi, de les voir ainsi.
Assise sur la terrasse, à 19 heures, je regarde le Pacifique, les bleus de ses vagues, la lumière du soir qui lui donne mille couleurs. Dans le fond, chantonne la mélodie idiote de la télé, qui hypnotise mes enfants pour m'offrir un moment de communion avec l’océan. Le dieu des parents n'existe pas - mais la télé, oui. L’écran est resté éteint tout le week-end, ce qui a emporté toute culpabilité comme du varech repris par l’écume.
Je repense au Pacifique que je voyais quand j’habitais sur la côte, à notre arrivée au Chili. Dans mon roman Litanie Valparaíso, l’océan occupe une place importante, point de mire unique, plein de beauté et plus encore plein de menaces et de dangers. La narratrice, une version de moi-même, mère dépassée, mère éplorée, regarde jour et nuit l’infini bleu, ses questions qui ne trouveront pas de réponses, ses fausses promesses de bonheur, ses déchaînements de malheur.
Ce n’est plus le même Pacifique que je vois. Il est beau, celui-là. Changeant, mais toujours beau. Et je ne suis plus cette mère-là. Je peux regarder le Pacifique et espérer, souffler, ne revoir que le bonheur, laisser se noyer les difficultés. Je peux ne revoir que mes enfants, choupis et tout doux, fuir les vagues, courir sur la plage, dévaler les dunes de sable gris, se livrer aux plus beaux jeux en famille.