Ça va passer
Batailles choisies #547
C’est la rentrée de ce côté du monde. Est-ce un éternel recommencement ou bien se passe-t-il, cette année, quelque chose d’extraordinaire? 🐾
De retour de l’école, on sort le jeu de société qui fait les délices des enfants depuis deux jours, un labyrinthe Pat’Patrouille très sympa. On fait une partie, puis une deuxième, puis une troisième, dans la joie tranquille, les rires de bonne humeur, en esquivant les disputes, en laissant gagner les enfants, dans la douceur, la bienveillance et la lâcheté maternelle permettant de passer un bon moment.
Après avoir rangé le plateau et les pions, je dis à mes enfants qu’il faut que je vide le lave-vaisselle et je leur demande d’aller jouer dans le jardin - ce qu’ils font. Un peu plus tard, je leur dis de se laver tout seuls pour que je puisse, moi-aussi, en même temps, me doucher tranquille, à quelques pièces d’écart - ils s’exécutent. Puis je prépare les lunchboxs pour le lendemain au son d’une playlist rien que pour moi, pendant que les garçons s’occupent en lisant un livre ensemble.
Ce sera donc bientôt ça, ma vie? Rentrer du travail main dans la main avec mes enfants, qu’ils s’occupent seuls, que je puisse faire des choses dans la cuisine pendant qu’ils sont au salon? Que je puisse bidouiller dans le salon alors qu’ils s’amusent dans le jardin? Que je puisse préparer les goûters, les repas, les déjeuners du lendemain avant 21 heures? Que mes enfants soient suffisamment autonomes pour me rendre un peu, enfin, de ma tant attendue liberté?
Enfin, pas tous mes enfants, devrais-je préciser. Car si, en cette semaine de rentrée scolaire, je suis tranquille, passant de jeux de société en quasi moments à moi, ce qui me donne l’impression que la fin du tunnel de la petite enfance est proche, c’est parce que je me retrouve amputée d’un enfant - et je n’en marche que mieux.
Dernier n’est pas là. La crèche est fermée cette semaine et Mari a pris notre terrible Dernier chez sa mère. Cette semaine, j’ai donc un avant-goût, un aperçu, un accès VIP à une vie sans bébé. J’ai l’impression de toucher au but, de sentir, presque sous mes doigts, qu’un nouveau jour se lève et que la nuit se termine. Des mois, des années, que je me répète que ça va passer, que c’est bientôt terminé. Ça va passer, tiens, supporte, ça va passer. Et c’est vrai que ça passe, à la fois trop lentement et trop rapidement… mais c’est plus vrai encore que j’ai terriblement besoin de passer à autre chose.
Bientôt, je pourrai avoir des enfants et exister en même temps. Bientôt, je pourrai être mère sans n’être que mère. Bientôt, j’aurai des enfants d’âge scolaire, d’âge raisonnable, d’âge gérable.
Mais bientôt n’est pas aujourd’hui.
Car après ma semaine sans bébé, après ma pré-rentrée et ma rentrée, Dernier est de retour à la maison et, aussitôt, les Pat’Patrouilles ne sortent plus de leur labyrinthe, les jetons du Puissance 4 finissent qui dans un pli du canapé, qui dans un tiroir de la cuisine, qui dans le trampoline, et le plateau de Monopoly ainsi que les pions à haut de forme volent dans le salon, sous une pluie de billets tristes.
C’est la rentrée.
C’est la dernière année où j’ai un bébé.
C’est la dernière année de crèche.
Mais ce n’est pas encore tout à fait terminé. Dernier, que je n’ai pas eu le temps d’empêcher de balancer le Monopoly qu’on avait oublié de ranger, me regarde avec ses grands yeux de coquin, ravi de sa bêtise et prend des pleines poignées de billets qu’il lance en l’air en éclatant de rire.
Allez, la petite enfance, ça va passer.