Vieux con
Batailles choisies #566
Avoir des enfants empêche-t-il d’être un vieux con? 🍜
Ce midi, j’en suis encore quitte pour une discussion à la cantine avec ce collègue de sciences que je n’ai pas réussi à éviter et qui sera, comme souvent, mon commensal, ce collègue qui trouve que les élèves ne savent rien. Qu’ils ne savent plus écrire. Qu’ils ne lisent plus. Qu’ils n’aiment rien. Qu’il s’en fichent de l’école. Qu'ils ne travaillent pas. Qu’ils veulent que tout leur tombe tout cuit dans la bouche. Qu’ils n’ont plus de respect pour l’autorité.
Et caetera.
Une discussion de profs, en somme, de ces discussions où seuls changent les visages et les voix, qui ont sans doute eu lieu à toutes les époques, qui ont été dites et répétées ad nauseam.
Je ne m’engage jamais dans ce genre de champ de mines, je ne vois pas ce qu’apporte le fait d’être sans arrêt, systématiquement et en généralisant, dans la critique de ses élèves, de ne pas remettre en question ses pratiques pédagogiques. Je garde en général le nez dans ma soupe, aussi mauvaise que soit celle de la cantine. De toute manière, qu’est-ce qu’un tel collègue peut bien vouloir entendre? Pourquoi gaspiller sa salive? Autant manger.
Au-delà de mon manque de goût pour ces vérités de comptoir pédagogiques, je me demande si le profil de mon collègue n’explique pas ce rejet de la jeunesse. Mon collègue n’est pas marié. Il n’a pas d’attaches familiales ici et surtout, il n’a pas d’enfants. Je me suis sincèrement demandé, en discutant avec lui ou d’autres du même style, si avoir des enfants n’empêchait pas de devenir, ce qu’on appelle en terme technique, un vieux con. Il existe des parents vieux cons et vieilles connes, c’est certain. Comme le dit la chanson, quand on est con, on est con, qu’on soit grands, qu’on soit petits, qu’on soit célib ou qu’on soit parents. Le temps ne fait rien à cette affaire, on peut être un prof vieux con à 30 ans, comme à 60, qu’on ait des marmots ou non. Mais j’ai quand même le sentiment qu’avoir des enfants, ou être au contact de la jeunesse, oblige à se décentrer, à reconnaître ses erreurs. Peut-être est-ce une vision naïve de la parentalité, peut-être que beaucoup plus de parents que ce que je crois ne se reconnaissent aucune faute et ne voient le mal que dans leur progéniture. Certaines personnes ne verront jamais la richesse des enfants et des jeunes, ne prendront jamais le temps d’être à l'écoute.
Mais moi qui regarde mes enfants, me posent sur eux et sur moi-même des centaines de questions, je vois aussi qu’être parents, c’est regarder autour de soi le monde dans lequel naissent nos enfants, et le monde qu’on leur laisse pour l’avenir, un monde bien sombre, parfois. Qu’il n’y a rien de bien vrai à se trouver, nous, générations précédentes, sans faute.
Je préfère aller continuer à égrener le temps en émiettant mon pain, ignorer les complaintes des vieux cons, et donner à la jeunesse le temps de fleurir - pour elle, le temps fait quelque chose à l’affaire.