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La peur au ventre
 

Batailles choisies #691

Journée de préparation pour ma fête honnie: Halloween. 🎃


 

Ce soir, c’est Halloween, une fête que je déteste, qui m’oppresse, me met la boule au ventre. Grand a insisté pour fêter Halloween dans notre résidence parce qu’il a compris 1) que depuis 4 ans, nous allons chez Belle-Maman parce, la fête y étant plus simple et plus campagnarde, ils n’en reviennent qu’avec un sac de bonbons 2) si on ne va pas chez Belle-Maman, on va avoir des centaines de bonbons. Pas moyen donc d’y échapper, cette année.


Malheureusement, tout ce que cette fête est, je le déteste. On achète des bonbons pleins de produits chimiques, de dérivés de pétrole, d’additifs cancérigène, de sucre, de gras, et on emballe le tout avec couleurs chatoyantes et microplastiques angoissants. On achète, non pas une quantité raisonnable, non, mais une quantité ridicule, énorme, de bonbecs, un stock qui pourrait faire tenir trois années entières toute une école primaire. On les achète alors qu’on sait très bien que nos bonbons seront jetés. Élémentaire, ma chère Watson, puisque je jette en catimini les bonbons de mes enfants offerts par les autres parents, ces mêmes autres parents jettent ceux que j’ai achetés. Et on fait tout ça par pure convention sociale, parce qu’on est obligé, dans une surenchère de ce qu’il faut être, de ce qu’il faut acheter, de ce qu’il faut montrer. Bonbons mauvais, mauvais pour la planète, mauvais pour la santé, mauvais pour la pensée: et on offre toutes ces horreurs à nos enfants avec le sourire. 

Halloween, c’est le monde que j’aimerais voir disparaître et dans lequel je me sens embarquée, prisonnière, galérienne. Une passagère de 2nde classe sur le Titanic. Halloween, mon coup dans le ventre.


Avec une gueule en berne, sourire crispé comme la plus effrayante des citrouilles, je traîne mes enfants ou suis traînée par eux au supermarché où je me retrouve à peser les pour, les contre, les sucres, les plastiques, les prix, les quantités, les demandes des enfants, les exigences, les poids des conventions sociales. Avec un trou au cœur, dans mon budget et dans mon sourire, je rentre à la maison avec mes paquets de bonbons. 

La journée se poursuit, ma loose, ma haine, ma boule au ventre, s’allègent. Je fabrique avec les moyens du bord un présentoir à sucettes, un distributeur avec des langues de chat et des tubes acidulés qui, savamment arrangés, donnent une impression d’opulence (soyons honnête: de suffisance à peine). Bref, ça va passer. Suffira d’imposer un nombre maximum de bonbons par enfant, au pire, j’accrocherai un écriteau qui dit “plus de bonbons” sur la porte. Ça va passer.  


Milieu a invité un camarade et dès qu’il arrive, le nœud au ventre continue son desserrement. Les enfants sont juste trop contents, ravis à l’idée de passer dans rue après rue de la résidence pour recueillir bonbon après bonbon. J’ai préparé mon prochain coup en leur disant que peu importe le nombre de sucreries qu’ils glanent, ils ne pourront pas s’en gaver librement - vous imaginez, les enfants, trop peur que vous ayez mal au ventre!  

18h, vient le moment tant attendu. On enfile les costumes: Grand en léopard, Milieu en GI Joe, et son copain en loup-garou. Je les accompagne pour les premières maisons, où ils récoltent un chocolat par ci, une poignée de bonbons par là. Je donne les dernières instructions de sécurité, leur fais un petit bisou et les laisse détaler tout joyeux vers leurs aventures trop sucrées, trop grasses, microplastifiées, complices et heureuses


De mon côté, je m’assois près de mon petit stand improvisé installé sur un banc, à l’entrée de la maison. Je place mes présentoirs. J’ouvre un bouquin. Quand des petites princesses ou des petits dracula arrivent, j’informe fermement que c’est une sucette ou une langue de chat, ou deux petits bonbons, et les céréales à volonté. Choisissez!

Il fait bon. Les enfants sont globalement polis, les parents aussi. Pas de cohue, pas de dispute, des costumes amusants: un dinosaure gonflable de 2 mètres de haut et d’un mètre de large, dans lequel un gamin de 8 ans, qu’on distingue par un hublot aménagé dans le ventre du lézard, doit amèrement regretter son choix ; un petit Blippi avec salopette et lunettes ; des bohémiennes ; des bonshommes de Minecraft.  

C’est chouette.

L’ambiance est bonne enfant.

Si on oublie ce qu’on fourrera dans le ventre de nos enfants et dans celui de la planète.

C’est même très chouette.

Des dizaines d’élèves qui habitent dans la résidence, et qui ont invité leurs copains, me lancent des “bonjour Madame”, tout joyeux, à la fois étonnés de me retrouver là, et heureux de me voir ainsi, détendue, dans le monde comme un être humain normal. Je garde quand même mon air strict, mes ordres droits, directs, donnés sèchement: un seul grand bonbon, ou deux petits. J’ai l’air de Cerbère devant mon stand de bonbons qui doit tenir jusqu’à 20h - encore 55 minutes. Ça va parce que j’aime avoir l’air de Cerbère.

Un petit élève de 6e passe, un gosse timide, mignon, assez émotif. Je lui fais une mauvaise blague: je te donne un bonbon seulement si tu conjugues correctement un verbe à un temps compliqué. Je le dis d’un air sévère avec un demi-sourire, mon petit élève est habitué à mon humour mi-figue, mi-raisin (ça aurait été plus sain que les cochonneries que j’offre en faisant taire mes viscères maternelles), s’exécute en souriant. Son copain, qui ne me connaît pas, dont je ne suis pas la prof, repart, impressionné, avec un seul bonbon, sans doute la boule au ventre.


Ce n’est pas si mal, cette journée.

C’est même bon.

Ça me fait chaud au cœur. 

Ma peur au ventre se tait - un peu.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

La colle et l’étiquette
 

Batailles choisies #662

C’est ça, être parent d’enfants grandissants? Voir son enfant prendre forme et ne pas aimer ce qu’il devient? Comment on aime une petite personne qu’on est censé adorer plus que tout, quand elle se comporte comme un moins que rien? 📛


Allez, et c’est reparti. 

Grand se bloque. 

Il décrète qu’il arrête, qu’il abandonne.

Qu’il ne veut plus faire.

Et il me regarde, depuis son coin, assis sur le perron de la porte.

Entre continuer à m’exaspérer et sortir du conflit, il hésite, ne fait rien.

Entre me mettre à lui crier dessus et abandonner pour sortir du conflit, j’hésite, ne fais rien.

Aucune des deux voies n’est la bonne, je le sens, le sais.

Mais en moi-même, je bous.


C’est le soir et je suis dans mon lit, le sourire en berne, une colère, une fatigue qui me consume, un grand découragement qui me prend.

En moi-même, je continue de bouillir.


Je passe en revue la journée d’aujourd’hui, que j’espérais douce et positive pour ma petite vie de famille, ma petite vie de maman. Je ne suis qu’avec Grand et Milieu, ça va être tranquille, sympa. Tous les trois entamons une session de rollers, sport que Milieu a demandé à pratiquer et auquel nous nous mettons tous, en famille.

Et Grand, au bout de cinq petites minutes, repart dans ses abandons, sa fâcherie, ses bouderies, sa mauvaise humeur qu’il envoie au monde entier avec sa moue rebelle et infantile.

Non, j’arrête le roller.

J’ai pas envie.

Je m’ennuie.

Je veux plus. 


Quoi? Encore ça?

Encore?

Mais on a déjà eu ce problème la première fois qu’on a enfilé nos patins! Grand est tombé une fois et a décrété qu’il n’aimait pas et n’en referait pas. Mari s’est fâché, Grand est parti en pleurant, j’ai réouvert un livre de chevet de parentalité pour trouver une réponse à ce problème, j’ai eu une discussion avec mon aîné pour l’aider à sortir de cette image de lui-même qui le pèse, j’ai cru le problème résolu.


Et non, ce problème est revenu plus lourd, cette étiquette est revenue plus collante que jamais.

Grand n’a pas le sens de l’effort. Il manque de pugnacité et, à mesure qu’il grandit, ce défaut l’empêche. D’autant qu’il manque de confiance en lui, qu’il se dit souvent nul en ci ou ça, qu’il n’a pas envie de se dépasser.

Oui, sûrement, dans le cas des rollers, ça vient d’un complexe qui naît de voir son frère, Milieu, à l’aise avec n’importe quel sport, léger, agile, véloce et faisant facilement tout ce qu’il se propose.

Oui, sûrement, notre inquiétude s’amplifie à cause du manque de coolitude de notre fils, de ses relations amicales dans lesquelles il est, trop souvent, le nerd, le geek, le looser, qui font qu’on prête plus attention à ce qu’il réussit ou à ce à quoi il échoue.  

Oui, sûrement, on a fait des erreurs avec Grand, on lui a fait les choses à sa place, en bon premier qu’il est, on l’a rendu empoté et peu persistant en voulant lui épargner trop de peine.

Oui, sûrement, pour résoudre ce problème, on a empiré la situation en le critiquant, en insistant, en apposant avec nos mains bien intentionnées l’étiquette tant redoutée de boudeur, de fuyard, de nul.

Oui, sûrement, dans ma famille il y a un problème de confiance en soi qui passe dans le sang.

Et?

Et maintenant quoi?

Comment on fait quand son enfant est devenu cette personne?

Que dois-je faire, en tant que maman?       


Je suis fatiguée de cet enfant. De cette mauvaise tête. Je ne sais pas quoi faire avec ce défaut, avec ce bagage qu’il porte ou plutôt traine. J’ai essayé différentes réponses: j’ai critiqué; j’ai montré le problème; j’ai décrit le défaut; j’ai crié; je n’ai rien dit; j’ai eu confiance qu’il allait comprendre; j’ai trouvé que c’était de ma faute; j’ai eu un haussement d’épaules; j’ai pleuré; j’ai continué à bouillir de rage.

C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent? On commence à les voir comme des personnes avec leurs défauts, qu’on ne peut plus vraiment corriger mais dont on doit attendre qu’ils décident, eux, de les corriger seuls, ou bien d’accepter de vivre avec? Et, en attendant, en tant que maman, mon rôle est-il de pointer du doigt ce qui ne va pas, de continuer à essayer de l’éduquer? Ou faut-il se retenir d’intervenir, qui serait le pire quand on croit faire le meilleur? Faut-il se rassurer en trouvant que c’est quand même un gentil garçon, avec ses grandes qualités?


Non, j’arrête le roller. Je m’ennuie. Je ne veux plus en faire. Je veux aller dessiner à l’intérieur.

C’est le soir et je ne peux m’empêcher de repenser à ça. 

J’y repense et souffre, de rage, de désillusion, d’impuissance


Impuissance. C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent?

Attendre que ça passe.

Espérer que ça passe. 


S’endormir avec cette angoisse, espérer que la nuit porte conseil.

Et se réveiller et n’avoir rien trouvé.

Sentir l’ébullition encore présente, à peine refroidie par la nuit.

Et maintenant, quoi?

 

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