Maman couteau bobo
Batailles choisies #98
Pas le temps de lire tout de suite?
En deux mots:
Aïe! Petit s’est coupé le doigt. Aïe! Maman est fatiguée et ne se sent pas l’âme d’une bonne samaritaine.
Le dîner est presque prêt. Des croquettes de thon, du riz tout chaud, une salade de concombres. Je suis dans la cuisine, les enfants dans le salon pour un petit temps d’écran.
Même avec un dessin animé, Petit vient régulièrement vérifier ce que je fais dans mes bruits de casseroles. Il monte dans son meuble d’apprentissage (un meuble qui lui permet d’être à hauteur du plan de travail et de participer à la cuisine) alors que je suis en train de servir les assiettes, on y est presque, plus qu'à couper les autres citrons pour le thon.
Je me tourne pour mettre la dernière portion de riz et schlac! Petit a attrapé le couteau avec lequel je viens d’ouvrir les citrons et, en voulant faire pareil, vient de transpercer un demi citron et son doigt qui était derrière.
Une demi-seconde, j’ai eu le dos tourné.
C’est une coupure sans gravité mais impressionnante: il saigne beaucoup et pleure encore plus, il se débat alors que j’essaie de lui passer la main sous l’eau. Il faut s’y prendre à deux pour lui pour mettre un sparadrap.
La maman que j’aimerais être câlinerait, rassurerait, plaindrait avec douceur ce pauvre enfant qui découvre la vie avec ses erreurs et ses blessures.
La maman exténuée que je suis en ce moment se fâche: “tu vois, hein, tu vois, combien de fois je t’ai dit pas les couteaux, on ne touche pas aux couteaux!” Je pense et peut-être dis (mais j’ai honte de l’avouer), “voilà, c’est bien fait pour toi.”
Il ne me fait pas de peine, ce bambin, il m’énerve. Il m’énerve d’autant plus qu’il nous pourrit un dîner qui pour une fois s’annonçait réussit. Au lieu d’un tiercé gagnant de mets et d’un repas tranquille, j’ai droit à un marmot qui pleure sur mes genoux toute la soirée.
Pauvre Petit... il a droit aussi à une mère aimante et compréhensive! Je me sens coupable d’offrir à ce deuxième enfant une mère de deuxième main, une mère en bonnes conditions mais avec quelques défauts d’usage - le confinement m’a bien amochée, il faut le dire.
Mais non, Petit l’infatigable a droit à une mère fatiguée.
Je me dis, le soir, que peut-être qu’il ne pourra s’assagir qu’en faisant des bêtises. Allez, Héloïse, tu as le droit...
Ce couteau-là, effectivement, il ne s’en approche pas. Les autres en revanche… clairement la catégorie “couteau” n’est pas encore formée dans son esprit.
L’expérience du chat échaudé l’aura quand même marqué: toute la soirée et les jours suivants, il dit à toute heure d’un air peiné en montrant son doigt, “bobo, couteau, ici, bobo, ici, couteau”.
Allez, les jours suivantes, double ration de câlin à défaut de portion de riz.