Batailles choisies #673
La toponymie est l'étude linguistique des noms de lieux, d'une région ou d'une langue, du point de vue de leur origine, de leur transformation, ou de leur signification. Et ça tombe plutôt bien, je suis en Normandie chez mes parents! 🐄
Pourtant, je ne définirais pas mon adolescence passée dans la Normandie où vivent mes parents comme une période particulièrement ensoleillée de ma vie.
Pourtant, je ne dirais pas que je voudrais plier bagages au Chili et venir vivre ici.
Pourtant, je ne peindrais pas ma vie idéale comme une succession de repas avec un temps limité entre eux pour faire ce que j’aime.
Pourtant, je ne dirais pas que mon rêve était de promener le chien en forêt ou de visiter cette abbatiale du XIIIe siècle.
Pourtant, je n’aurais pas parié, il y a dix ans, que j’aurais sincèrement envie de visiter tous les patelins du coin du pays de Bray, qui veut dire pays de la boue.
Mais à chaque fois que je reviens ici, certes, dans des conditions toujours douces de temps libre, d’oisiveté, de vacances et, pour cette fois-ci en outre, alors que je suis accueillie par une météo digne de mon pays d’adoption, je trouve qu’il n’y a rien de plus riant que les paysages des bocages normands.
En séjour en France pour la sortie de mon dernier livre, je passe d’abord quelques jours chez mes parents, avant d’aller à Paris. J’ai habité en Normandie entre mes onze et mes quinze ans, et suis revenue dans ce village pour les fêtes, les anniversaires, tous les événements de famille qui m’y ont amené au fil des années. Tout est familier et tout est à redécouvrir à la fois, tout donne envie d’échappées belles, surtout les magnifiques noms des patelins, bleds et autres lieux-dits du coin. Il n’y a rien de plus chantant que ces noms merveilleux qui mériteraient une étude toponymique - ne me tentez pas sur cette pente aussi glissante qu’un bocage normand en hiver. Ou bien, si tentez-moi, panneaux routiers et cartes routières, allons-y gaiment comme gamin à travers champs normands!
À la Ferrière, y a-t-il eu une forge réputée dans le pays?
Et à Dampierre, y avait-il une carrière? Ou bien simplement une très grosse pierre? Ou encore une pierre d’une couleur si digne d’intérêt qu’elle a laissé sa trace indélébile dans les cartes de la région?
Et à Bouchevilliers, sans doute exerçaient-ils des abattoirs et sa cohorte de bouchers? Ou bien existait-il un vallon en amusante forme de bouche?
Les Basses Communes étaient-elles vraiment basses et se trouvaient-ils de longs champs à Longchamps? Les feuilles étaient-elles différentes à La Feuille, à Feuilly et à La Feuillie? Le dialecte du coin a-t-il laissé Les Verguis à la place des Vergers, quelque part dans l’évolution du langage? Et que dire de ces noms qui laissent rêver, La-Chapelle-aux-pots, Saumont-la-Poterie, Bosc-Bordel, qui veulent dire complètement autre chose que ce qu’ils laissent croire? Tandis que d’autres, Trouville, Perduville, ou Hauteville, sont parfaitement transparents. Il reste bien sûr à se réjouir que les mélanges de langage et les évolutions de l’oral comme de l’écrit nous ait laissé, Morgny (la morne), Frileuse (ça caille dis donc), Le cercueil (dernier clou), Le mort (qu’est-ce que je vous disais) et puis, celui-là, qui me laisse des explosions de paillettes dans la tête: Le Mal Assis.
Mais moi, je suis bien, là, assise confortablement dans la voiture, à regarder défiler des merveilles toponymiques, cartes postales de mes vacances.