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Des yeux d’enfants
 

Batailles choisies #660

Les essentiels pour assister à un spectacle de cirque: de la patience, des pop-corns et un bandeau sur son regard critique d’adulte. 🤡


Bon, l’essentiel, c’est que nos enfants soient contents.

Le plus important, c’est qu’on fasse une sortie tous les cinq, et que ce soit un (à peu près) bon moment pour (tour à tour) tout le monde. 

Alors, on va prendre tout le potentiel nase de cette sortie et on va l’ignorer, voire le positiver jusqu’à ce que, décidément, on puisse trouver que c’était vraiment super, hein les enfants!


On est dans un parking en terre depuis quinze minutes. Les enfants s’impatientent à coup de Maman, on veut rentrer, quand est-ce qu’on peut rentrer? Mari et moi nous félicitons silencieusement d’être partis en retard, sinon on aurait attendu encore plus avec nos gosses qu’on essaie d’empêcher de jouer avec les cailloux et la terre du parking. Ça va être super, hein, les enfants?


On n'est pas prêts de rentrer. L’ouvreuse qu’on voit un peu plus loin dans la queue a l’air d’avoir un problème avec les codes QR des billets parce qu’elle va et vient, discute à l’intérieur du chapiteau - on ferme ses yeux d’adultes et on ne râle pas sur l’organisation. Ben, je ne sais pas, mes choux, les artistes ne sont peut-être pas prêts, soyez patients. Mais ça va être super, hein les enfants?


Ah, ça y est, on entre! Vous voyez! Bon, on va ignorer que les ouvreurs et ouvreuses sont des gros et grosses dondons échevelées ou bien sont les artistes eux-mêmes, maquillés et coiffés pour la scène mais vendant du pop-corn à 10 euros le sac. Ça va être super, hein!


C’est vrai qu’il n’y a pas grand monde dans le chapiteau, on doit être moins d’une cinquantaine de personnes.

La piste de glace est grisouille, les rideaux d’apparat sont sales et le chapiteau a des trous, mais c’est super, hein, les enfants, ça va bientôt commencer. 

Une musique de festivités généralistes commence, la voix enregistrée de Monsieur Loyal vante le cirque le plus populaire d’Amérique latine, affirmation qui nous laisse, Mari et moi, quelques peu dubitatifs mais enfin, à Grand qui demande si c’est bien vrai que c’est le spectacle le plus populaire, on dit oui, bien sûr, il est super connu


Le spectacle commence et la troupe qui pose un pied sur la piste, tout en habits dorés de cabaret ringard, fait se lever nos sourcils, à Mari et moi: certains semblent avoir appris à patiner le mois dernier, les dames ont du mal à lever la jambe, qu’elles ont épaisse, les messieurs sont soit de grands échalas, soit les maris sans doute des dames aux larges cuisses et sont taillés sur le même modèle qu’elles.      

Bon, il va vraiment falloir bander ses yeux d’adulte et retrouver son regard d’enfant pour apprécier ce spectacle, et surtout faire apprécier aux enfants un medley de numéros vieillots, certains issus de Disney on ice, d’autres faisant le tour des cirques de second ordre depuis quarante ans.

La petite sirène n’a aucune grâce et ressemble plus à une goélette qu’à une créature sous-marine.

La Bête de la Belle et la bête trébuche en entrant sur la piste.

Un enfant qui joue dans un numéro de Peter Pan s’accroche désespérément à la quarantenaire qui est censée représenter Wendy pour ne pas se casser la figure.

Les clowns, en revanche, sont un numéro efficace et drôle, que mes enfants adorent et que Dernier demande à revoir durant tout le reste du spectacle: Maman, maman, les clowns, les clowns?

Les deux seuls artistes qui savent réellement patiner se sortent de leur mieux de cette minuscule scène et offrent de beaux moments avec des acrobaties de cerceaux, de filins et de tissus.

Ce n’est pas le meilleur cirque de notre vie, non. 

Ce n’est certainement pas le meilleur public pour les artistes, non plus. Les pauvres. Il n’y a quasiment personne, la plupart des adultes font du whatsapp sur leur téléphone, l’ambiance est au point mort, les applaudissement ne parviennent pas à remplir le vide du chapiteau et malgré tout ça, ils doivent sortir leur plus beau sourire et faire leurs meilleurs efforts pour offrir un spectacle pour les beaux yeux des enfants présents!  

 

Fin du show, pas de bis évidemment. On insiste encore que, hein, les enfants, c’était génial, hein, vous avez aimé? Les acrobates? Ah, oui, surtout les clowns, surtout les clowns, tu as raison, ils étaient super.


Bon, avec leurs yeux d’enfants, sans trop comprendre pourquoi, mes garçons sont capables de trouver que les clowns étaient vraiment le meilleur numéro. Le plus important, c’est que c’était une sortie chouette, que les garçons en ont un bon souvenir, que chacun des trois y a trouvé quelque chose


Il faut attendre le soir pour que nous nous autorisions à ouvrir nos yeux d’adulte sur le spectacle. Mari, lors du débriefing de notre journée, me fait pleurer de rire en décrivant le spectacle du jour, le décrivant avec son brio et son humour habituel, les jambons à la place des cuisses, les artistes-ouvreurs-cuisiniers, les glissades, pour qu’on retrouve, nous aussi, nos yeux d’enfants, moqueurs, malins, tout à notre joie d’une mémorable sortie.

C’était super, hein!

 

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Heloise Simonsouvenir, sortie, rire
Le trouillomètre
 

Batailles choisies #659

Avec 30 ans d’écart, Milieu et moi-même partageons une émotion originelle: la frousse terrible devant un film (et aussi la confiance cabocharde que non, on n’aura pas peur devant ledit film). 😨


*À la fin des années 80, dans un club de vacances*



Le souvenir que je vais raconter est flou et net, tronqué et fluide. Il est celui de la petite fille que j’étais, dans ce club de vacances à la neige où nous étions avec ma famille. 

C’était une soirée - quoiqu’il n’était en réalité peut-être que 17h30.

C’était dans une grande salle aux murs de panneaux de bois - ou peut-être qu’elle n’était en réalité qu’un petit placard à balai où on mettait les enfants du mini-club.

Dans cette pièce et celle d’à côté, il y avait une immense télé - enfin, c’était les années 90, donc c’était un immense cube qui prenait la moitié de la salle.

Il y avait beaucoup d’enfants, dans les deux - ou peut-être deux groupes réduits, séparés en petits, et en grands.


- Les grands vont regarder un film de grands, là-bas, et les petits vont rester ici! Et toi, ma petite Héloïse, tu veux aller où?


Je veux aller avec les grands. Avec les grands, il y a mon frère aîné qui, je crois me souvenir, je me rappelle, ou j’invente à partir de souvenirs ultérieurs, est avec des copains à lui et n’arrête pas de me taquiner et de me dire que je suis petite.

Donc je vais aller avec les grands, regarder un film de grand, et je vais laisser ma petite sœur qui ne doit pas avoir plus de trois ou quatre ans, regarder Cendrillon, Bambi ou je ne sais pas quel film de bébé.


Dans la salle des grands, les lumières sont éteintes. Je ne connais aucun enfant autour de moi. Une musique pleine de suspens et d’angoisse résonne et mes yeux d’enfants sont absorbés par ce film, dont les couleurs sont quand même bien sombres, bien inquiétantes. Et soudain. 

Soudain.

Quelque chose.

Quoi?

Aucune idée.

Quelque chose qui apparaît sur l’écran, en criant, avec un grand boum, des percussions ou bien des cuivres dramatiques.

Un homme? Un monstre? Un ours? Un alien?

Non, je n’en ai plus le souvenir.

J’ai uniquement le souvenir très net d’une peur originelle, d’une trouille immense, qui me secoue le corps, me tire un cri suraigu et me fait pleurer à chaudes larmes immédiatement. 


Une gentille animatrice me prend alors par la main et m’emmène, alors que les larmes continuent de me baigner les joues, dans la salle des petits.

Ma sœur me voit revenir et me souffle d’une petite voix guillerette, tout en continuant à regarder son film de bébé, et en tapotant la chaise en plastique:

- Viens, je t’ai gardé une place.



*35 ans plus tard, dans le salon d’une maison bourgeoise. Début d’après-midi*



- Maman, je veux regarder Jurassic Park. Maman, on peut regarder Jurassic Park? Je peux? Je peux? Maman? Je peux?

- Milieu, je crois que c’est un film qui fait peur.

- Non, je n’ai pas peur. Je veux regarder Jurassic Park.

- Mais choupi, dans mon souvenir, il y a des scènes vraiment effrayantes…

- Non, je veux. En plus, je l’ai déjà vu, chez A.

- Mais tu es sûr que c’est celui-là, honnêtement, je pense que tu t’en souviendrais…

- Oui, oui, j’ai pas peur. Je veux, je veux regarder.

- Attends, c’est déconseillé aux moins de 13 ans… tu viens d’avoir 6 ans et…

- Non, je veux.

- Bon écoute, je te propose de rester avec toi dans le salon. Je me mets à côté et puis si tu as peur, tu me dis, ok?

- Oui, oui, oui, crie Milieu tout content de regarder un film de grand.


Je n’ai pas dû voir ce film plus d’une fois dans ma vie parce que je n’en ai que de très vagues souvenirs. Il commence lentement, avec une longue introduction en technologie de pointe d’il y a trente ans et gros ordinateurs préhistoriques. Mon petit curieux de fils pose des questions intéressées, apprécie de voir les diplodocus, ne comprend pas qui est le méchant, ni pourquoi on donne une vache vivante à des vélociraptors, mais il arrive à tamiser son ennui d’un film clairement trop descriptif pour lui… jusqu’à ce qu’on arrive aux parties intéressantes.

- Maman, qu’est-ce qu’il se passe là? 

- Ben écoute, les scientifiques et les enfants sont coincés dans le parc et les mesures de sécurité ne marchent plus. Donc, je ne m’en souviens plus bien, mais je dirai que c’est le moment où le T-Rex va arriver…

Et il arrive, oui. Et il rugit, et il est énorme, et il fait noir dans le film, et les acteurs pleurent, crient et paniquent, et deux enfants manquent de se faire dévorer et hurlent terrorisés et un monsieur se fait happer tout cru.

Et ça arrive, oui.

- Maman, arrête le film. Maman, j’ai peur. Maman, Maman, j’ai peur. J’ai peur! 

Milieu s'est levé, saisi par une grosse trouille, et s’est enfui du salon parce que je mettais un peu de temps à trouver la télécommande pour arrêter.

Je l’écoute, un peu attendrie, un peu blasée de m’être laissée berner par un gosse têtu, monter quatre à quatre les marches jusqu’à l’étage, alors qu’il continue de me dire, comme pour l’évacuer de son système, Maman, j’ai peur, j’ai peur. Puis j’entends Dernier, qui regarde une vidéo sur Youtube, crier joyeusement à son frère:

Miyieu, Miyieu, viens voir avec moi, une vidéo avec des camions!

 

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