Koh Lanta - épisode final
 

Batailles choisies #606

Un mari 10 jours en déplacement professionnel, ou le Koh Lanta maternel. Survivra? Survivra pas? Épisode 3: mais à quoi servent vraiment les maris? ❤️‍🔥


 

Jour 9


Voilà, les 10 jours s’achèvent demain.

Oh lala, ma pauvre! Et tu as survécu, vous entends-je vous exclamer… C’est héroïque, c’est incroyable, c’est fou, et tout ça, sans les coller devant la télé tous les jours, sans disputes, ou si peu qu’elles ne comptent quasiment pas!

Oh, merci, merci, comme c’est gentil. J’apprécie les compliments mais je ne vous dirai pas, comme un héros militaire américain: je n’ai fait que mon devoir! Non je vous dirai plutôt: je n’avais pas le choix. Ou bien: et j’aurais pu aller où, de toute façon? Ou encore: évidemment, c’est qui, la c*nne qui s’occupe des mioches? 


Le jour 9 a été tranquille, tout doux, tout a roulé, dîner impeccable, bain sans éclaboussure, coucher à basse tension. Demain, c’est dimanche. Demain, Mari est de retour.  

Je m’en suis sortie. 

Je m’en suis sortie. 

Je m’en suis si bien sortie que ça vaut la peine de le dire trois fois come Beetlejuice. 

Pourtant…

Je me voyais me disputant tous les matins avec les enfants qui ne veulent pas s’habiller, après lesquels il faut courir pour qu’ils se lavent les dents. Je me voyais restant jusqu’à la nuit à préparer les repas pour le lendemain. J’étais sûre que je finirais toutes les soirées à hurler de ma voix aiguë sur des enfants terrifiés, à maudire le ciel et tous les hommes.    


Mais, non, à part deux soirées ratées, tout s’est bien passé. Certains soirs, c’était même plus tranquille qu’avec Mari. Et oui, parce qu’en tant que parent principal, j’ai institué la majorité des routines des enfants. En tant que parent principal, j’ai le plus d’expérience de résolution de ces conflits du quotidien qui pourrissent la vie et le moral, mais qu’on ne peut pas éviter et qu’il faut surfer comme un dangereux rouleau. En tant que parent principal, j’ai l’habitude d’être écartelée entre les besoins, pleurs et demandes des garçons et j’ai l’habitude de m’effacer pour y répondre de mon mieux, malgré ma fatigue, mon ras-le-bol.


Mari n’était pas là. En revanche, celui qui est là, tout à fait là, géant, dans l’absence du père, c’est le patriarcat. Oui, je suis capable de m’occuper seule (enfin, je n’oublie pas Papi sans qui j’aurais probablement jouer un one-woman show de Médée) des enfants pendant un déplacement de mon conjoint. Si j’en suis capable une fois, j’en serai capable d’autres fois. J’en suis capable parce que c’est moi qui passe le plus de temps avec les enfants. Et comme je passe le plus de temps avec eux, je suis capable de passer le plus de temps avec eux dans des situations stressantes, tendues, épuisantes. Et cette expérience, cette capacité à prendre sur soi, à organiser, planifier, anticiper pour que les enfants et moi survivions, il n’y a que moi qui l’acquiers. La balance parentale est déjà déséquilibrée chez nous, ce qui est tristement normal dans les couples hétérosexuels. Et ce genre d’événement ne fait, évidemment, que la faire pencher davantage du côté de la c*onne qui s’occupe des gosses. À moi l’ingratitude, à lui les voyages d’affaires, à moi les cris, à lui les discussions où on a des choses intéressantes à dire ou à entendre.


Et s’il y avait, en échange, des jours d’absence, où je pourrais être en congé de ma maternité, ne plus me soucier, pendant 10 glorieux jours, des dîners, des douches, des couchers d’autres personnes que moi… mais alors, ok, je donnerais ces jours d’exclusivité parentale, si je pouvais, en échange, avoir des jours d’exclusivité de moi-même. Sauf que non: je sais bien que ça n’arrivera pas. Pour Monsieur, rester seul avec trois enfants? Impossible. Considérer que j’ai aussi besoin d’avancer ma carrière, notamment littéraire, et que pour ça, il faut prendre de son côté de la balance parentale les trois poids avec lesquels nous cohabitons? Je rêve.


Ma conclusion, c’est que ben, 10 jours… j’ai tenu parce qu’une mère n’a pas vraiment besoin d’un père, alors que l’inverse est impensable. Pour le dire vite: un mari ne sert pas à grand chose. Ce n’est qu'à moitié la faute dudit mari, bien sûr, c’est surtout celle d’un monde construit autour du travail parental gratuit des mères. Que Mari soit victime et/ou complice et/ou coupable n’empêche pas que c’est fatiguant. J’ai, certes, réussi ma mission… j’ai, certes, aménagé mon île déserte et ai réussi à éviter les monstres et animaux sauvages… mais j’en ai marre.  


Alors, qui élimine-t-on, ce soir, à Koh-Lanta? Et pourquoi pas le Patriarcat, dont on ferait le meilleur feu de joie?


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Koh Lanta - épisode 2
 

Batailles choisies #605

Un mari 10 jours en déplacement professionnel, ou le Koh Lanta maternel. Survivra? Survivra pas? Épisode 2: où Médée achète une tritureuse à culpabilité. ❤️‍🔥


 

Jour 3


L’école et la crèche ont fait leur travail: nous nous retrouvons tous les cinq, les trois enfants, Papi et moi, à 17 heures. Chacun s’est occupé à quelque chose sans les autres, tout le monde est content de se revoir et tout roule, ce soir, à peine de menues tensions pour le coucher. 

Bilan de la journée? 

Les choses importantes ont été réalisées: les enfants ont quelque chose dans le ventre, je ne leur ai pas crié dessus. Les choses accessoires, comme les devoirs, les cinq fruits et légumes par jour, le lavage de dents et le rangement des jouets, ont été laissées sur le côté, en tas de culpabilité. Mais, vous savez, je vais me servir de la tritureuse à culpabilité que j’ai louée pour cette semaine. Ben oui, les enfants dorment à l’heure et personne ne gardera le souvenir d’une mère écumante de rage et dépassée. C’est la réussite, quoi, et ça mérite de faire vrombir cette toute nouvelle machine qui m’évite de penser que je dois faire encore plus.


Jour 4


Mais ils sont aussi pénibles, pour les dîners, d’habitude? Faut croire, oui, parce que Mari n’est certes pas là, mais sa présence se fait sentir. Je reprends son rôle de belle-mère, tenez-vous droits, on ne parle pas de ça à table, on ne mange pas avec les mains, on ne lèche pas son assiette, on ne rote pas à table, on ne pète pas non plus, non! Mais enfin, les enfants! Ils sont particulièrement mal élevés, sales et idiots ce soir, profitant sans doute de l’absence de leur père pour s’en tirer à bas coût. 

- Milieu, tu veux un dessert?

- Oui, je veux un dessert de caca!

- Grand, ramène ton assiette à la cuisine.

- D’accord, et je vais me faire un dessert de prout.

- Caca, prout, prout, caca, prout!

- Mais enfin, Dernier, finis tes pâtes et ne dis pas de bêtises!

Après le dîner, les enfants jouent aux trois petits cochons, ce qui leur va d’autant mieux les mains pleines de pesto et les mentons dégoulinants de yaourt à la mûre. Ouf, sonne la douche, sonne l’heure, Papi s’occupe de Grand pour que j’endorme les petits.

Allez, un jour de passé. Ils ne se tiennent pas mieux à table, mais ils dorment, et c’est l’essentiel.  Mari reprendra le manuel de la baronne de Rotschild. 


Jour 6


Dernier infernal. Dernier perdu. Dernier insupportable, chouinard, capricieux, hurleur, Dernier violent, agressif, méchant. 

Qu’est-ce donc, ce qui le fait se rouler par terre puis me poursuivre en m’insultant et en cherchant à me frapper? Je ne lui ai pas laissé renverser le fauteuil du salon pour sauter dessus. Et pour ça, Dernier m’envahira de ses pleurs, de ses cris, de sa rage rugissante. Sa frustration a ouvert la boîte de Pandore des enfants de deux ans: toutes ses peurs, toutes ses tensions, toutes ses émotions innommables prennent dans un grand courant d’air le nom de Papa, qu’il appelle à pleurs déployés, Papa, Papa, Papa. À partir de là, je n’ai plus qu’un objectif pour la soirée: ne pas le baffer. Je dois nous protéger tous les deux. Je n’arrive pas à le calmer, et le traîne, ainsi que ma mission d’être une mère non-violente, de plus en plus lourdement. Dernier, mon boulet.

Qu’a-t-il, maintenant, à pleurer alors que j’ai déjà cédé au biscuit et au jus? Sait-on jamais ce que contient la boîte de Pandore?

C’est simple: c’est une soirée ratée, comme il y en a eu tant d’autres avant et comme, j’espère, il en aura moins (ou d’un autre style de plantage, sans doute) dans les années à venir. Où s’est-on loupés, avec Papi? Sait-on ce qui a fait péter le couvercle de la boîte? J’étais retenue en conseil de classe au collège, Papi a dû récupérer Dernier de la crèche. Lui a-t-il donné un biscuit en trop, qui lui a coupé l’appétit pour le dîner, ce qui nous a fait entrer dans un cercle vicieux où Dernier n’avait pas assez faim pour manger correctement, mais n’avait pas assez mangé pour exister correctement? Ou est-ce que sa routine, la routine à laquelle il tenait d’autant plus que son père est absent depuis plusieurs jours, a connu un changement de trop? Ou est-ce que je suis simplement fatiguée? 

Peut-on jamais vraiment savoir, avec les enfants? Ils sont horribles sans qu’on sache ce qu’il leur arrive. Ils chouinent des chagrins indicibles, ils pleurent des peines profondes et incompréhensibles, ils hurlent des pensées confuses, et de tout ça, leur sort de la morve plein le nez, qui m’énerve encore plus. La soirée est ratée. Un bref moment de jeu entre les trois garçons lève un peu la tension, avant de retomber dans la routine, poussive jusqu’au coucher. Lorsqu’enfin, le dragon dort, enfin, lorsque je ne peux clamer que la maigre victoire de n’avoir frappé personne, je laisse un long message plaintif à Mari… qu’il ne lira, décalage horaire oblige, que demain. 


Jour 7


Sait-on jamais pourquoi un enfant se met à réclamer son père absent depuis une semaine? Pourquoi ce soir, en particulier? Sans doute, bien sûr parce que je suis très fatiguée et que les dieux de l’Olympe s’ennuient et aimeraient, pour se divertir, voir se jouer, ici-bas, la tragédie de Médée? Deuxième soirée très difficile d’affilée! Alors que les jours précédents ont roulé et que je pensais qu’on s’en sortait bien…

 

Dernier a passé une heure, de retour de la crèche, à pleurer et réclamer son père. J’ai tout essayé, câlins, livre, j’ai cherché par tous les moyens à le nourrir, tout en évitant les caprices et les demandes fantasques de crêpes sans rien pour le dîner, que j’ai refusé d’abord, longtemps, avant d’abandonner parce que, là, présentement, l’urgence est de le faire sortir de cet état, et tant pis s’il mange des crêpes et des céréales au dîner. L’humeur des enfants est une poutre sur laquelle les meilleures gymnastes ont perdu l’équilibre. Ces derniers jours, j’ai réussi de belles soirées acrobatiques, telle Simone Biles. Là, en revanche, je viens de me prendre une belle gamelle. Les crêpes n’ont pas particulièrement aidé l’humeur, il est pire qu’avant et j’en suis sérieusement amochée. Je ne suis pas sûre de tenir cette deuxième soirée terrible. 

Comment s’en sortir, quand on perd pied? 

Aujourd’hui j’ai justement lu un dépliant pour parents sur l’éducation émotionnelle: face à une crise, il faut d’abord se centrer sur soi, retrouver sa contenance, son calme. J’ai beau cherché, pourtant, de calme je n’ai que le grand vide intérieur et la colère qui s’y cache. Sans doute, ce calme est-il parti à l’autre bout du monde avec l’abandonneur de maman… 


Tant bien que mal, nous arrivons tous en un seul morceau au coucher… sauf qu’avant la libération, se cache la pire sale de torture psychologique: la manie qu’a Dernier de me tripoter les seins, de poser sa main les bons jours, ou de triturer mon téton les mauvais, pour s’endormir. Son doudou à lui et mon purgatoire. Je trouve cette manie insupportable mais il faut bien que je dorme. Je sacrifie mon intégrité pour mon sommeil, me laisse tripoter pour faire des nuits complètes, pour qu’au moins, la nuit, il n’y ait pas de batailles. À mesure que ses yeux se ferment, ma colère recule, retournant doucement à sa tanière. 


Dans le grand feu de Koh-Lanta, j’ai envie d'éliminer tous les hommes de ma vie. 


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