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Fatigué·e
 

Batailles choisies #692

De l’impossibilité de décider si on doit aimer et soutenir son mari ou le pousser dans les orties. 🥱


 

Dimanche, dernier de quatre jours d’un long week-end.

Premiers mots de Mari, au réveil: je suis fatigué.

Deuxièmes mots: j’ai mal à la tête.

Soupir.

Ce n’est pas le code Enigma. 

Ce n’est pas bien difficile à comprendre.

Ça veut dire: lève-toi et occupe-toi des enfants. 

Ça veut dire aussi: ne compte pas sur moi. 

Ça veut dire encore: je vais être de mauvaise humeur aujourd’hui.

Ça veut dire: tiens, je me déleste sur toi de ma charge parentale, émotionnelle et domestique. C’est cadeau.


J’ai vécu ce genre de réveil d’un matin de week-end si souvent depuis presque neuf ans, depuis que nous sommes parents que je m’y suis résignée. J’ai appris que ça ne sert à rien de se plaindre, de demander un relai, de dire que ce n’est pas normal que je sois toujours la première debout, que je sois toujours celle qui se prend la parentalité en pleine face dès le saut du lit.

Oui, parce que le réveil est un moment où être parent n’est pas un feu d’artifice. Je me lève après une mauvaise nuit, une nuit hachée, parfois entrecoupée de pleurs. Je sais qu’il n’y a aucune chance que je me rendorme. Je désespère parfois de voir le jour à l’extérieur, si sombre, signe d’une heure trop matinale, signe que l’espoir d’une grasse matinée est renvoyé aux calendes grecques. Je commence ma journée par les premières disputes (Non, Dernier, ne me touche pas les seins), par les premières résolutions de conflits entre frères (D’accord, je lis un livre, mettez-vous d’accord sur le livre, bon d’accord, un chacun, eh, laisse de la place à ton frère, mais sans vous pousser, enfin), ce travail émotionnel qui suce une énergie terrible. Je commence par penser aux autres - ne faites pas de bruit, ton père dort encore, chut, venez, on va descendre dans la cuisine, chut.

Alors, sachant que ces matins sont mon quotidien, que, pendant que j’ouvre les yeux sur un large faisceau fait résignations minuscules qui mettent à mal ma patience, Mari dort, peut-on accepter un autre matin de “tiens, occupe-toi des enfants, j’ai mal à la tête”?  


J’essaie, j’essaie d’être juste, de comprendre: Mari a une semaine de 45 heures de travail. Il a 15 jours calendaires de vacances annuelles. Il est en télétravail. Il est migraineux. Il s’occupe beaucoup de la maison, du jardin, des comptes, des assurances, de toutes les tâches qui fourmillent quand on a une famille de cinq. Il a passé les deux dernières années à rester avec les enfants malades, à les amener chez sa mère quand la crèche ou l’école les refusait, à s’adapter à l’emploi du temps des uns et des autres  Il est fatigué, oui. 


Mais quoi? Entrez dans la danse, dans la bataille? Reprocher que c’est toujours moi qui, que c’est encore moi que, que j’aimerais qu’il comprenne enfin que, et qu’il y ait un vrai changement. Je suis las de me battre sur ce point. C’est peine perdue. Il est plus éreintant de livrer bataille que d’accepter son sort. 


Il y a eu un équilibrage relatif de nos charges parentales et domestiques depuis quelques années, et les bons jours, les bons soirs, quand vient le temps du bilan du jour, je trouve que non, je n’ai rien à lui reprocher. Il n’y a plus que le sommeil, en termes de temps et de qualité, qui sont mon sacrifice à moi seule, et qui reste un point de tension, de rancoeur qui, je pense, ne sera jamais résolu et restera là, comme un reproche éternel, plus ou moins fort, plus ou moins latent, plus ou moins explosif.  


Je suis debout, là, au milieu du champ de bataille, avec mon drapeau blanc baissé, à attendre la suite du combat, à ne pas savoir s’il faut l’agiter ou bien reprendre les armes. Ou si de simples pourparlers de paix suffiraient. 

Juste, Mari: Tu sais, moi aussi je suis fatiguée.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

S’épaissir
 

Batailles choisies #690

Une dispute, une incompréhension, une pincée de mauvaise journée, un zeste de découragement et tadaa, l’inquiétude parentale a trouvé son liant. 🥣


 

L’inquiétude prend corps

Et 

S’épaissit


Grand

Grand, encore lui


Les soucis légers balayés

Dilués

Non, on ne va pas en faire tout un fromage

Qu’il n’ait ni envie de sortir

Ni envie de lire

Ni envie de s’épanouir

Ça va passer


Sauf que

Malgré mon optimisme

Après la pluie

Pas de soleil

La soirée est pénible


Grand

Grand, encore lui

Est difficile


Il grossit, de nouveau

Il demande à manger sans arrêt

Il ne sort plus autant avec ses amis 

Il reprend ses distances, ses timidités

Préférant rester à la maison tout seul

N’ayant plus envie

Ayant délaissé

Les jeux dehors

L’escalade

Les courses en trottinette avec les camarades 


Il est loin du meilleur qu’il peut être

Il est tout à côté de

La pire version de lui-même


Grand, comme mon inquiétude,

S’épaissit 


Ses faiblesses

Ses fragilités

Ne peuvent plus être diluées

Elles reprennent corps

Alors qu’il y a peu encore

Il était rayonnant

Volatile

Joyeux

Coquin

 

Mari, tu penses qu’on doit faire comment

Qu’on doit le mettre au régime

L’emmener voir un nutritionniste

Si on commence à surveiller son assiette son poids

Alors on va empirer son problème

Son image de lui-même

Si on critique son apparence

Évidemment il ne peut que se sentir mal

Ne rien lui dire garder silence

Impossible

On est ses parents

Et ses amis

Que se passe-t-il qu’il les délaisse ainsi

Et s’il devenait mollasson

Paresseux

Gauche

Malheureux


Les problèmes

Les angoisses

Les peurs

Les errements

S’épaississent

C’est une soirée qui aurait pu être belle

Et qui est, à la place, patine


Sans doute aussi parce qu’a grandi mon envie

Après un week-end avec Beau-Frère, Belle-Sœur

Et leurs enfants bien plus réussis que les miens

S’est épaissie ma jalousie

Et que bien sûr, non, ce n’est sûrement rien

Mais tout de même


Grand

Grand, encore lui


Il a la peau bien fine

Il lui manque le cuir de la vie

Parce que ses amis, ben

Il faut aussi qu’il apprenne à se moquer

Des mauvaises paroles

Qu’il sache s’endurcir

Contre les petites piques

Et qu’il sache se prendre en main 


Je ne sais pas s’il faut fabriquer un plan d’action

Ou simplement 

Essayer essayer essayer encore

Dormir

Boire un coup

Manger un bout

Voir demain

Si la nuit a allégé nos inquiétudes


Il va bien falloir que Grand s’épaississe

Pitié, que mes inquiétudes s’amenuisent.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣