Presque
 

Batailles choisies #618

Être presque prête pour la rentrée scolaire, c’est être presque une bonne pâtissière. 👩‍🍳


 

C’est presque la rentrée. Je sens pointer l’appréhension et revenir avec elle, déjà, le ras-le-bol de ma tâche la plus pénible au quotidien, que les congés d’été avaient envoyée en grandes vacances: les goûters. Mari est parti avec les enfants chez sa mère et je suis seule à la maison. Je passe donc ma matinée à préparer les maudits goûters, dans l’idée qu’ils tiennent le stress, le choc, la longueur d’une quadruple rentrée scolaire, durant  la majeure partie des deux prochaines semaines, l’épreuve du feu.


Les goûters sont, dans le nourrissage de mes enfants, ma tâche la plus pénible. Or, ma nouvelle vie sera pleine de goûters: les 2X3 goûters de l’école, 2 collations du matin X 3 enfants, et les 2X3 goûters de la garderie, 2 goûters de l’après-midi X 3 enfants. Pourquoi les goûters sont-ils ma tâche la plus ingrate, détestée? Parce qu’un déjeuner peut être constitué d’un plat de pâtes et de bâtonnets de carotte pour tout le monde, et que je prépare ça en suivant le modèle industriel du fordisme: à la chaîne et impersonnel. Les goûters et collations en revanche fonctionnent sur le modèle des Rolls Royce: du personnalisé, du haut de gamme et un service après-vente sans faille.

Celui-ci aime les biscuits au citron, celui-là au chocolat mais sans noix de coco alors que lui aime les cookies à la noix de coco mais sans chocolat et en aucun cas les biscuits au citron. Il faut que je fasse des merveilles avec des petits tupperwares dont j’ai perdu la moitié des couvercles, avec des sacs en tissu qu’il faut plier soigneusement en forme d’enveloppe et mettre au frigo la veille. Le matin, comme c’est pour l’école, il faut toujours qu'il y ait un fruit, puisque les maîtresses m’écrivent des mots dans le carnet de liaison s’il n’y en a pas - pas question de nouveau de me retrouver prise en faute par une collègue, oh non! De plus, j’essaie, autant que possible, de leur donner du fait maison, pour éviter les produits de synthèse de supermarché sans doute pleins d’horreurs chimiques, pour faire des économies sur la nourriture, pour développer le goût des bonnes choses et pour réduire nos déchets de consommation courante. Tout ça pour qu’évidemment, les garçons râlent parce qu’eux ils n’aiment pas le quatre-quart à l’orange et qu’ils ne l’ont pas mangé. 

Ces six goûters quotidiens sont donc un beau paquet d’emmerdes.


Pourtant, ce matin, je dirais que ça se passe plutôt bien, j’avance avec beaucoup d’efficacité! Voyez plutôt:

Lait chocolaté

Jus de fraises

Petits desserts de gelée de fruits rouges

Biscuits au citron

Biscuits coco-choco


Il reste la pièce finale: un pain au lait, dont je congèlerai la moitié pour la deuxième semaine et avec ça, je pourrai m’estimer prête, ou presque prête, pour affronter les 4X3 goûters x 2 semaines.

Pourtant… il faut bien m’avouer qu’après deux heures en cuisine, ma fatigue me fait voir le plus grand de mes problèmes: je veux que mes enfants apprennent le goût des bonnes choses et l’importance de faire soi-même, mais… je suis une piètre cuisinière et une moyenne tout au plus pâtissière. Pas que mes petits goûters maison soient mauvais, mais ils sont surtout très mal présentés… comme mon pain au lait, qui sort du pétrin plein de grumeaux, qui doit doubler de volume et ne double pas du tout, qui doit être séparé en trois pâtons lisses qui chez moi restent collants et doivent ensuite être tressés avec délicatesse alors que ma natte ressemble davantage à celle d’une sauvageonne échevelée. Après la cuisson, le pain au lait qui est censé me faire deux semaines n’est pas trop moche mais…

Le papier cuisson a collé sur le dessous du pain et ne se décolle que très difficilement. Il en reste des bouts par-ci, par-là. 

Bon, c’était presque ça le pain au lait

Les enfants vont sûrement le dédaigner et je vais devoir me précipiter au supermarché acheter les paquets de biscuits industriels.


Mais, pour ma santé mentale, je peux peut-être espérer que ça soit pas si mal, du pain au lait avec du papier cuisson collé dessous? Que ça ait, quand même, le goût du fait maison et des bonnes choses? Ou presque?

(Mise à jour après une semaine: ils n’en ont rien mangé et à peine bu)


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

T’inquiète, je l’amène
 

Batailles choisies #617

Bataille intérieure: mon mari a dit qu’il emmènerait Milieu chez son ami. Mais il est en retard - une réunion. Mon combat: amener Milieu pour qu’il soit à l’heure ou laisser Mari se dépatouiller de son organisation? ⏰


 

Milieu trépigne

- C’est aujourd’hui que je vais chez F.?

- Non, c’est dans cinq jours, mon chéri.

- C’est aujourd’hui que je vais chez F.?

- Non, c’est dans quatre jours, mon chéri.

- C’est aujourd’hui que je vais chez F.?

- Non, c’est dans trois jours, mon chéri.

- C’est aujourd’hui que je vais chez F.?

 - Non, c’est dans deux jours, mon chéri.

 - Deux jours?

- Oui, après-demain!

- Après-demain!

- C’est aujourd’hui que je vais chez F.?

- Oui mon chéri!

- À quelle heure je vais chez F.?

- C’est Papa qui va t’amener mais il s’est mis d’accord avec la maman de F. pour t’amener à trois heures de l’après-midi.



Il est deux heures trente, et je viens seulement de m’installer pour mon temps tranquille de travail - entendez: les enfants regardent la télé et me laissent, enfin, souffler et écrire. Milieu aime bien regarder Pat’ Patrouille mais il préfère vraiment aller chez son ami F. et, toutes les dix minute environ, il passe sa petite tête par la porte de la cuisine où j’essaie de travailler et me demande : “C’est maintenant que je pars chez F., Maman? C’est maintenant?” Je réussis à gagner du temps plusieurs fois, en lui demandant d’aller se coiffer, puis d’aller se laver les dents, puis de préparer un petit sac à dos avec ses affaires de foot enfin de mettre ses chaussures. Mais je n’ai plus d’idées pour jouer la montre et il est 14h55. Il faudrait partir maintenant pour être à l’heure. 

Derrière moi, le silence du home-office de Mari se rompt soudainement, à 14h57, quand j’entends sa voix commencer une réunion, de ce ton à la fois enjoué et sérieux qui sert, comme la sonnerie d’un appel visio, à marquer le début d’une session de travail. Il arrive que ces réunions ne soient qu’un appel, rapide, simple, efficace. J’attends donc dix minutes avant de commencer à maudire Mari dans ma tête, et voilà, évidemment, il s’est engagé à quelque chose et il na va pas tenir ses engagements, parce qu’il vit dans le monde des maris, celui où on ne sait pas combien de temps ça prend pour amener un enfant chez un copain, celui où on fait des promesses qu’on ne tient pas, celui où c’est évidemment moi qui vais devoir finir par amener Milieu.


Je n’ai aucun problème à amener Milieu chez F., c’est juste à côté. Ce qui me dérange dans cette histoire, c’est que si c’est à moi de l'emmener, je m’organise et je construis mon temps de travail, mon temps tranquille, autour de ça. Je commence le temps télé plus tôt ou plus tard, bouge le déjeuner ou le retarde, en fonction, histoire de garder ce moment si important pour moi et ne pas me retrouver comme maintenant, comme de bien entendu, avec cette pression que c’est à moi d’amener Milieu, en plein milieu de ma session d’écriture - qui, à mon retour, sera terminée.


Je fulmine intérieurement, chaque minute qui passe me prouvant que j’ai raison, que décidément ça sert à quoi de se partager les tâches si elles finissent par me retomber dessus. Il me suffirait de passer la tête par la porte du bureau, ou d’écrire un petit Whatsapp, pour demander si ça l’arrange que j’amène Milieu, en fin de compte, peut-être une réunion de dernière minute, un imprévu quelconque, qui se comprend.


Non. Non. Et triple non. 

Je ne ferai rien.

Je ne proposerai pas de l’amener.

Je continuerai de dire à Milieu que bientôt, bientôt, il faut attendre que Papa ait terminé une réunion en me retenant de dire acrimonieusement “t’as qu’à demander à ton père, hein”. 

Je suis décidée à ne rien faire tant qu’on ne m’a pas explicitement demandé, tant qu’on ne m’a pas explicitement dit qu’on s’était planté et qu’on me pourrissait la vie - enfin, deux heures précieuses de ma vie de non-mère.

Tant pis pour Milieu, tant pis pour la politesse, tant pis pour la générosité envers le conjoint. Ou est-ce que…

Cette bataille intérieure entre la féministe et la femme mariée, la mère et la non-mère me consume, au point que j’ai du mal à me concentrer sur mon travail jusqu’à ce que…


15h23. La porte du bureau s’ouvre. Mari presse Milieu qui saute dans la voiture.

Ma colère refroidit.

25 minutes de retard, ça… va.

Plus tard dans l’après-midi, alors que je me demande si je dois m’organiser pour récupérer Milieu, Mari me dit de regarder son whatsapp, pour vérifier l’heure de fin d’après-midi “jeux”.

Je remarque qu’il avait poliment écrit à la maman de F. un petit message à 15 heures tapantes pour lui dire qu’il était en réunion. Puis un autre à 15h23, pour lui dire qu’il partait.


Bon. j’ai peut-être été un peu… trop prompte à le juger de travers et à travers mes lunettes féministes

Parfois, se retenir, laisser faire, lâcher-prise, souffler.


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