Batailles choisies #621
Cuisiner avec ses enfants est une tâche ingrate autant que pleine de belles surprises et d’importantes leçons. 🧑🏻🍳
Aux fourneaux aujourd’hui?
Grand (et Maman).
À la table du chef?
Ses frères et son père.
Grand adore la cuisine, depuis tout petit. Depuis tout petit, il aime lire des livres de recettes, manger, depuis tout petit il prend plaisir à goûter à des choses nouvelles, demande ce qu’on mange, propose des idées de menus. La face sombre de cette scintillante monnaie, c’est que, depuis tout petit, Grand nous tanne pour faire des recettes.
Nous tanne.
Nous tourmente.
Nous pourchasse de ses envies de cupcakes à la framboise, de ses recettes de macarons au chocolat, de ses enthousiasmes de raviolis maison.
Enfin, Madame Médée, vous devriez savoir que faire la cuisine avec ses enfants est non seulement un privilège, mais aussi une vraie leçon - plutôt: une multitude de leçons. On en apprend des choses! On discute (vocabulaire et syntaxe), on apprend à faire attention (concentration et attention), à suivre des instructions précises (focalisation et mathématiques), on doit penser à une présentation qui donnera envie aux hôtes (projection et esthétique).
Alors, Médée, que trouvez-vous à redire à ça?
Et pourquoi pas, Grand, en leçon de cuisine, des pâtes à la tomate, ce soir?
Non?
Je réussis en général à éviter de me mettre aux fourneaux grâce à trois stratégies: lancer la patate chaude à quelqu’un d’autre, Abuelita en général, trouver qu’il est trop tard, tu te rends compte, on n’aurait qu’une heure pour cuisiner, ou dire que s’il n’y avait pas son petit frère Dernier, bien sûr, mais que comme il est là, non, ça va être impossible.
Malheureusement, hier, alors que je ne surveillais pas mon aîné, celui-ci a dégoté des livres de recettes que j’avais machiavéliquement cachés sur l’étagère la plus haute de la bibliothèque des enfants, derrière les livres les plus ennuyeux possibles, dans l’espoir que le manque de lecture lui coupe la chique de l’inspiration et me permette de respirer bien mieux en éventant pour toujours les lubbies culinaires de mon aîné.
Grand arrive malgré tout dans la chambre, livres sur les bras et grand sourire sur les lèvres, pour mon plus grand déplaisir.
- Maman, Maman, regarde, les livres de recettes! Je les ai retrouvés!
- Ah, c’est super…
Après une âpre négociation ayant à voir avec le temps et les ingrédients nécessaires, on se met d’accord: demain midi, on fera des soufflés au fromage - souvenir d’enfance dans la tête et doigts croisés que ce ne soit pas trop difficile.
Dimanche midi, casseroles et batteurs électriques sortis, Grand et moi mélangeons vivement le beurre et la farine, ajoutons les jaunes, le lait et un pincée de muscade, battons fermement les blancs que nous incorporons avec délicatesse. C’est un doux moment. Les frères sont occupés avec leur père. Sans intrus, rien ne vient perturber les soufflés, pour lesquels j’ai insisté sur la difficulté technique: attention, s’ils cuisent trop ou qu’on ouvre le four, ils retomberont comme des soufflés (évidemment) et alors on en sera quitte pour manger des crêpes.
Mais non: tout nous sourit.
Dorés à point et gonflés à bloc, les soufflés arrivent sur la table devant les regards ébahis et sous les hourras, les vivat, les bis, les encore: ils sont délicieux, bravo, mon Grand!
À un bout de la table, néanmoins, le silence est sombre.
Milieu repousse son assiette et dit d’une moue dédaigneuse:
- J’aime pas.
- Mais, Milieu, tu n’as pas goûté! répliquons-nous en chœur, son père, le chef et moi.
La fierté de Grand retombe comme des vous savez quoi.
Ah oui, parce que, dit Médée rassérénée, cuisiner pour les autres, aussi, est une leçon! Une leçon importante: Milieu, ce n’est pas poli. Quelqu’un de la famille a cuisiné, on doit faire honneur à son repas. Et puis, Grand, ben oui, ça ne fait pas plaisir, quand on a cuisiné quelque chose, que ce soit accueilli comme ça, n’est-ce pas? Tu te rappelles, il y a deux jours, quand j’ai cuisiné une omelette, et tu as dit qu'elle n'était pas bonne, sans même y avoir goûté parce qu’elle était trop cuite? Ou cette fois où tu as refusé de manger la tartine parce qu’il y avait trop de beurre?
Ben voilà, que ça te serve de leçon.