Tout de même
 

Batailles choisies #624

Ma vie, c’est de la m…? Et alors? Mes gosses chouinent, se disputent et me font tourner chèvre? Et alors? Par rapport à l’année écoulée, c’est du gâteau. 🍰


 

Dernier se roule par terre en pleurant au moment où j’entre dans la garderie.

Dernier a été difficile aujourd’hui, me disent les dames.

Il s’est fait pipi dessus.

Trois fois.

Il a mordu un camarade.

Il s’est disputé avec deux autres.

Il ne nous a pas écouté.

Ni pour entrer.

Ni pour sortir.

Ni pour faire les activités.

Il a été vraiment difficile, me répètent-elles, comme si le résumé des matchs de cette septième journée avait laissé la place au doute.



Je souris avec obligeance, remercie avec effusion et cache avec effort ma lassitude de ces rapports du jour, rapports d’enfant galère que j’ai, trop souvent, depuis plusieurs années maintenant.



Je peux voir tout de suite qu’il est difficile. Sur le chemin de retour de la maison, il lambine, fait de son mieux pour faire les bêtises, s’acharne à agir à l’inverse des recommandations les plus simples, des conseils les plus basiques.

Il jette un caillou qui frôle l’oreille de son frère.

Il traverse la route à l’intérieur de la résidence sans regarder à droite ni à gauche.

Il fait pipi sur le buisson d’un voisin.

Il s’asseoit sur le bord du trottoir et fait la grève de la marche.

Il se met à pleurer quand ses frères, lassés d’attendre le boulet, commencent à rentrer à la maison sans lui.



Ben oui, il est fatigué, il est tête de mule, il fait son troll. 

Ben oui, il donne envie de l’abandonner aux Thénardiers, en sachant très bien quel genre de parents ils sont.

Oui.

Il est ce soir l’enfant qu’on regrette d’avoir eu.  



Mais, tout de même… tout de même… 

Une fois rentrés à la maison, Dernier joue avec Milieu, faisant dans le jardin des petits tas bien propres de cailloux sans en jeter sur personne. Puis Dernier mange, certes boudeur, mais mange tout de même son assiette. Puis Milieu a décidé qu’il allait apprendre à s’essuyer tout seul les fesses après avoir été aux toilettes. Puis Grand annonce résolument qu’il va faire ses devoirs et s’exécute. Puis les garçons m’aident à ranger la cuisine avant d’aller jouer tous les trois, certes trop bruyamment, certes trop brusquement, certes trop brièvement sans bobos ni disputes, mais tout de même, longuement, dans le jardin.

Tout de même, les soirées sont plus faciles.

Tout de même, oui, je galère moins.

Tout de même, je sens que le poids de la petite enfance, de cette organisation terriblement contrainte et sclérosante, s’allège. 

Tout de même, j’ai réussi à terminer les goûters, les repas, les sacs pour l’école.

Tout de même, je me sens moins rincée.



Tout de même, les enfants grandissent.

Tout de même, le tunnel, c’est presque fini.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Trois mariages et un…
 

Batailles choisies #623

Grand livre, sous la couette et sous vos yeux ébahis, la pierre philosophale, la recette de la sagesse, le secret du bonheur.  👰‍♂️


 

Grand s’est collé à moi sur le lit. La lampe de chevet, sous son abat-jour de métal, reflète des couleurs dorées sur son visage, fait chamoirer les reflets de ses cheveux blonds. Son corps blanc me transmet une douce chaleur. Grand profite.

Grand profite de son petit moment à lui, cette demi-heure bénie quand ses frères sont couchés, et que ses deux parents, ou au moins un des deux, lui consacrent un temps seul. Que fait Grand de ces trente minutes si spéciales? Il regarde des reportages avec nous ou des vidéos qui nous plaisent et ne conviennent pas à Milieu ni Grand, il me demande ce que je lis, joue la montre, commence une discussion puis passe à la suivante, entre dans une conversation, pose des dizaines de questions de grande personne en miniature. 


Ce soir, il se lance dans un grand raisonnement sur le mariage.


Autour de lui, il y a trois mariages et (pour l’instant) un seul divorce: ses parents, ses grands-parents paternels (le divorce) et ses grands-parents maternels.


- Maman, moi, je pense que le plus important, c’est de trouver quelqu’un avec qui te marier. 

- Ah oui? Et pourquoi ça t’intéresse, toi, le mariage? Qu’est-ce que tu penses que ça apporte?

- Ben, si on a un mari ou une femme, on est avec quelqu’un. Parce que sinon, les choses, tu les fais tout seul. Par exemple, tu vas au cinéma tout seul et tu regardes l’écran comme ça. Alors que, si tu es avec quelqu’un, tu peux vivre… euh… plus d’aventures.

- Ce que tu veux dire, c’est que tu aimes bien, dans l’idée d’avoir un mari ou une femme, le fait d’avoir un compagnon ou une compagne, quelqu’un qui t’accompagne.

- Oui, voilà, c’est ça!

- C’est sûr qu'être avec quelqu’un, partager, apporte de la joie, des satisfactions. Même si ce n’est pas toujours facile. Et qu’être seul, ce n’est pas forcément une mauvaise chose.

- Qu’est-ce qui n’est pas facile, avec un compagnon, ou une compagne?

- Parfois, on ne s’entend plus, on n'a plus envie d’être accompagné par cette personne. Ou la personne ne veut plus.

- Ah, comme Pépé Luis et Abuelita.

- Oui, voilà.

- Et Papi et Mamie?

- Non, Papi et Mamie, ils sont toujours compagnons et compagnes. C’est un modèle, tu sais. Parce qu’ils apprécient leurs présences réciproques.

- Et est-ce que tu crois qu’un jour Abuelita et Pépé Luis vont se remettre à être des compagnons? Parce que quand même, ils sont tous les deux seuls.


Je ne peux m’empêcher de retenir un sourire, en imaginant ce couple désaccordé dès la première année d’union, ayant passé deux décennies à souffrir dans un mariage au point mort et séparé depuis bientôt deux décennies, de nouveau en lune de miel.


- Oh, non, tu sais, ils n’étaient pas des bons compagnons, de toute façon. Parfois, on choisit mal son compagnon ou sa compagne, ou on n’a plus envie d‘être avec la personne. Et dans ce cas, il vaut mieux être seul.

- Et toi, tu t’es déjà séparé de Papa?


Est-ce que j’ai vraiment envie de rentrer dans ces détails, dans les moments difficiles de mon couple, dans les tempêtes, dans les fatigues d’être coincés à deux. Est-ce que je peux parler de ça en dix minutes, lui dire en trois mots offerts avant d’aller se coucher, des problèmes d’adulte, de grandes personnes fatiguées, résignées, heureuses malgré tout?


- Écoute, mon chou, moi aussi ça m’est arrivé de douter si je voulais être avec ton père, et lui aussi, mais tu sais, maintenant, on est passés à autre chose: on se rechoisit régulièrement comme compagnon, comme compagne, d’accord?    


Mon enfant s’intéresse aux zones grises, sous la lumière dorée de ma table de chevet. Partout, à toute heure, dans la parentalité, peuvent sourire des éclaircies.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣