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Trois conversations
 

Batailles choisies #670

Une journée, trois conversations avec/autour de/malgré mes enfants, qui me sapent le moral ou me le relèvent - les conversations autant que les enfants. 😳


 

Le trac


Deux matins de suite qu’à la place de parler, Milieu tombe de son lit aux aurores. J’entends littéralement un boum, puis des petits pas et bientôt, tout à côté de moi, et peu importe qui ça va réveiller, de gros sanglots.

- Maman, dit alors Milieu, pleurant à chaudes larmes et secoué de spasmes, je veux pas faire mon exposé. Je veux pas, j’ai peur. 


Milieu doit faire, pour la première fois de sa vie d’écolier, un exposé - devant toute la classe. Milieu ne veut pas. Milieu n’aime que moyennement l’école, il peut parfois être turbulent, m’a commenté la maîtresse. En outre, c’est un enfant très réservé, discret, qui déteste toute attention qu’on lui porte, qu’elle soit négative ou positive. Milieu ne veut vraiment pas faire son exposé sur le léopard des neiges, que nous avons pourtant bien préparé. Il tombe donc de son lit, pétri de stress, puis pétri le lendemain du même stress parce que ce n’est pas aujourd’hui, c’est demain ton exposé.

Demain arrive: Milieu part, peur au ventre et feuille cartonnée en main.

Le soir, quand je le récupère de la garderie, j’ai à peine le temps de lui demander comment ça s’est passé qu’il me montre, tout fier, le diplôme le félicitant pour son exposé!

- Bravo, mon choupi! Ça s’est bien passé, alors?

- Oui, j’ai eu un peu peur au début quand je devais parler mais après je n’ai plus eu peur.

- Ah, ça s’appelle le trac, ça, tu sais. Quand on va parler en public, on a peur, et puis dès qu’on commence, dès qu’on s’est lancés, ça passe. Et alors, raconte en détails, dis-moi tout! 

Bien sûr, je veux en savoir plus, mais… je n’en saurai pas plus: Milieu reste Milieu, discret, secret, réticent à la parole. Les conversations sont courtes avec lui, même si celle-ci a été particulièrement douce. D’autant qu’il me donne un dernier cadeau. 

 -Maman, tu sais, je suis un peu fâché contre L. 

- Ah bon? Ton super copain L.?

- Oui, il ne respecte pas les règles, dit-il d’un air contrarié. Pendant que je faisais mon exposé, il n’a pas arrêté de parler, de bouger, il n’écoutait pas ce que je disais.

Je peine à retenir mon sourire, ne réussit pas à retenir une petite pique bien sentie envers mon fils adoré qui n’écoute jamais rien ni personne: ah ben oui, c’est pénible, Milieu, quand on parle de quelque chose qui est important pour toi et que la personne ne t’écoute pas, hein?

Je n’aurai pas de réponse parce que Milieu n’écoute déjà plus. Mais cette brève conversation mignonne, montrant tous les apprentissages des derniers jours, m’a remonté le moral. 


La merde


La responsable de la garderie demande alors à me parler. Dehors, s’il vous plaît. Ah? Oui bien sûr.

La responsable me dit alors qu’elle a reçu des plaintes d’un parent à propos de Dernier

- De Dernier?

- Oui, un parent s’est plaint que son fils lui a raconté que Dernier n’arrête pas de dire des gros mots. 

- Des gros mots? Dernier ne dit pas de gros mots, je ne comprends pas, dis-je, certaine qu’on accuse injustement mon fils qui est loin d’être un saint mais qui ne dit pas de grossièretés. 

- Il dit des choses comme “caca”, “prout”, il lui apprend ces mots.

- Ah. Non, oui, ça c’est Dernier, dis-je, incapable de nier que c’est lui, sentant mon cœur qui commence à ployer sous la difficulté à venir. Il le dit toute la journée, avec ses frères, il adore dire ces bêtises-là.

- Il faudrait travailler ça avec lui.

- Oui, j’essaie, on essaie, on parle avec lui, on lui répète d’arrêter de dire…

 -Il y a aussi le problème qu’il dit à cet enfant que la police va venir l’arrêter s’il fait des bêtises.

- La police?

- Oui, que la police va venir le chercher s’il fait des bêtises et le père s’est plaint parce que son frère est policier et que maintenant son fils a peur de son oncle, à cause de ce que lui dit Dernier.

- Non, nous ne lui disons jamais ça, même pas en menace pour qu’il se brosse les dents ou fasse son lit, dis-je, un peu sur la défensive, un peu énervée de cette conversation, un peu braquée parce que je sais bien que Dernier n’est pas un enfant facile, mais de là à devoir écouter ces trucs d’autres parents, quand même. 

Je lui dis, d’ailleurs: 

- Je suis d’accord que Dernier n’est pas un enfant facile, je peux insister encore sur ces grossièretés, je ne peux pas grand chose sur cette histoire d’oncle policier. Est-ce qu’il se tient bien à la garderie en ce moment ou est-ce que c’est difficile?   

- C’est difficile, il ne se tient pas toujours bien, fait des caprices, ne veut pas faire les activités et se cache sous la table. Et puis, il ne se tient pas bien à la garderie. Il ne veut pas obéir, il est parfois agressif avec les autres enfants…

La litanie des mauvais comportements de mon dernier-né continue et, avec elle, la descente de mon sourire dans mon cou et de mon cœur jusque dans mes chaussettes. 

Nos efforts pour essayer de corriger les mauvais comportements de Dernier, nos petites mais indéniables réussites avec la maîtresse, ont donc été en vain? Encore, il faut encore remettre sur le métier cet ouvrage? 

Découragée. Fatiguée. Coupable. Je sors de cette brève conversation le moral complètement miné.



La fable


Cela fait trois ans qu’on trouve Grand naïf, très naïf, trop naïf. Durant ces années, on est passés de “c’est très mignon”, à “c’est un peu inquiétant”, à “c’est vraiment préoccupant”. Ce soir, alors que je suis dépitée par le coucher difficile de ses frères, que je traîne le sentiment d’échec que mon Dernier soit difficile par ma faute, que je n’essaie pas particulièrement d’avoir une conversation privilégiée avec mon aîné, je m’étonne de voir arriver sur le tapis, on ne sait trop comment, une conversation sur la petite M.  

- -Elle se couche tous les jours à deux heures du matin parce qu’elle regarde sa tablette.  

- Ah?

- Mais bon, je trouve ça bizarre quand même.

- Ah?

- Honnêtement, M. je ne crois rien du tout de ce qu’elle me dit.

- Ah?

- Ben oui, par exemple, d’après elle, elle ne dort presque pas. Quand même, elle serait fatiguée.

- Ah?

- Et bon, elle dit qu’elle est dans le groupe 3 en dictée parce qu’elle n’a pas envie de travailler donc, si elle était dans le groupe 4, elle travaillerait plus. Mais moi je crois qu’elle dit ça parce qu’elle ne sait pas.

- Ah?

- Et puis elle parle 5 langues. Enfin, là-dessus, je la crois pas du tout. Un jour, je lui ai demandé comment on disait “merci beaucoup” en indien et elle a dit “mya paowm”, mais ça, je crois que c’est juste des sons qu’elle a inventés.  


J’en ai connu, des enfants qui, pour faire leur intéressant, affabulaient complètement. Et ça ne me dérange pas, c’est une façon comme une autre de grandir. Ce qui m’a toujours dérangé avec ça, c’est que mon fils ait une admiration sans borne pour elle, au point où tout ce qu’elle disait était la preuve que mon Grand n’était, à ses propres yeux, qu’un bien médiocre enfant. 

Et que faire, en tant que parents? Lui dire que son amie ment comme elle respire? Non, bien sûr. On ne pouvait qu’attendre qu’il s’en rende compte tout seul, et désespérer et s’inquiéter que ça prenne autant de temps.


Enfin, enfin, c’est pour aujourd’hui, un peu d’éveil à l’autre, enfin moins d’admiration béate, enfin plus de valeur accordée à soi, et moins accordée aux autres! 

Enfin, Grand grandit!

Et il a la délicatesse de le faire bien car il ne rejette pas son amie, qu’il appelle encore son amie. Mais il la considère avec un peu plus de distance et d’esprit critique. C’est globalement la preuve des amitiés changeantes de Grand, de l’arrivée de nouveaux amis dans sa vie, de sa capacité à comprendre par lui-même, à faire la part des choses. 

- Tu sais, Grand, parfois les gens mentent pour faire leur intéressant. Il faut juste savoir trier. 

- Oui, elle ment trop cette année.

- Et ton nouveau super ami L., il ment, tu crois?

- Non, presque jamais.

- Et toi?

 -Moi, un petit peu. Parfois.


Ben c’est un tout petit peu qui laisse une maman très très contente.

Douces paroles pour conclure la journée. 


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

D’autres parents
 

Batailles choisies #668

Le fossé entre les parents d’un seul enfant se creuse et moi. Attention travaux en cours! 🚧


 

Mes voisins sont tous parents d’un seul enfant de moins de trois ans.

Ils ont des problèmes de vaccins.

Ils ont des peurs liées à l’entrée à l’école.

Ils parlent de recettes de goûter maison.

Ils organisent leur samedi autour d’une activité d’enfant unique, trente minutes de voiture jusqu’à Santiago pour aller à une école de musique très réputée, ou bien une matinée entière avec petit-déjeuner préféré et parc, ou une tradition d’activités manuelles et pâte à modeler.  


Bref, ils planent.

Ils planent complètement.

Ils sont vraiment à l’Ouest - dans le pays des enfants uniques, dans cette contrée des parents d’un seul enfant d’âge pré-scolaire.  

Ce sont d’autres parents.

Eux ont des conversations pleines de certitudes (de doutes masqués en certitude, en réalité) sur ce qu’il faut faire en cas de dispute entre frères et sœurs. Eux ont des conseils. Eux peuvent se consacrer pleinement au développement émotionnel et affectif de leur petit alors que moi, ben, mes enfants, non ils ne vont pas à l’école de musique, ni à la danse classique, ni au parc, non, le foot, ils ont arrêté, qu’est-ce qu’ils font le week-end, eh bien, euh… ils se disputent et ils jouent dans la rue.   


C’est drôle comme une réalité prégnante, poignante, poisseuse, collante il y a seulement quelques années me semble désormais lointaine. C’est bien vrai, qu’on oublie les soucis de la petite enfance. Ou plutôt, qu’on les remplace par d’autres et qu’une fois qu’on est sortis des tranchées, on ne regarde plus beaucoup la fange. J’ai souvent eu l’impression, lorsque je parlais de mes vrais problèmes de crèche, de nez morveux, de diversification alimentaire, à des parents d’enfants plus grands, que je ne recevais pas l’écoute active et impliquée que j'espérais. C’est pourtant pire que tout d’être parents de bébés! De l’empathie, oui, bien sûr, mais lointaine, comme si les personnes avec qui j’avais ces conversations compatissaient, sans trop. 

Je finissais froissée. 

Je suis désormais celle qui froisse. 

J’écoute les problèmes des autres et j’aime ça, écouter la vie de parents malheureux (je me sens moins seule comme ça), mais je vois aussi que je ne suis plus cette personne pleine de ces certitudes, ou confondue de doutes, pétrie d’idéaux. 

Nous aussi, nous avons sacrifié nos samedis matins, pour aller à l’école de musique, au bébé nageur, au foot, ou toute autre activité de ce genre. Nous avons tenté les cookies maison et les matinées peinture. Nous étions, Mari et moi, d’autres parents. 

Sauf qu’un autre enfant est arrivé, et puis un autre, et avec eux, la réalité des choses. Ce n’est pas que je ne veux plus m’occuper de mes enfants, ni que je trouve que ce soit une mauvaise chose d’essayer de donner tout ce qu’on peut à sa chère progéniture. C’est que je suis harassée des journées à essayer de bien faire, d’être la meilleure mère possible, sans y arriver bien sûr parce que je n’y parviens qu’à grand peine - et encore, uniquement les années bisextiles!

Ces autres parents ont beaucoup d’ambition, de projets, d’idéaux. Quant à moi, si je termine la journée et que tout le monde a à peu près mangé et est vivant, ben, je trouve que j’ai réussi. Je traîne ma parentalité, derrière ces locomotives - ou bien, j’avance comme un tortillard, en laissant derrière moi les questions trop lourdes auxquelles, de toute façon, il n’y a que des réponses fragiles, promptes à devenir caduques voire à dérailler comme des wagons de bestiaux sur de fragiles voies ferrées. 


Les parents d’adolescents m’écoutent sans doute avec la même politesse lointaine. Et pourtant, sans réussir réellement à comprendre leurs questionnements, je m’y projette, je veux savoir comment je serai, qui je serai dans cinq ou dix ans. Quand je vois des adolescents ou des jeunes hommes presque majeurs, je ne peux m’empêcher de m’imaginer, de me projeter, de me voir mère d’ados ou de jeunes adultes, de chercher à savoir qui seront mes garçons, à quinze, seize ou vingt ans


Quand nos enfants seront devenus autres, nous serons sûrement encore, d’autres parents.


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