C’est bon
 

Batailles choisies #674

D’habitude, je suis la mère de mes enfants. En ce moment, je redeviens la fille de mes parents. C’est mi-bon, mi-pas. 🧀


 

C’est bon, Papa, c’est bon, je peux ranger moi-même le vélo.

C’est bon, Maman, je ne veux plus de fromage. Si, si, Maman, il est très bon, très bon ce fromage. Mais ça me suffit.


Elle existe donc, la machine à remonter le temps.

Plus recherchée que la fontaine de jouvence, la pierre philosophale ou la poudre de perlimpinpin…

Prévenez la presse, le Président de la République, Elon Musk, les directeurices de la revue Nature, enfin, les gens importants, vous voyez.

Je suis passée dans une porte temporelle en bois épais, suis entrée dans une machine à remonter le temps invisible, me suis fait aspirer par un trou non pas noir mais couleur de boue, ai pénétré dans un vortex qui ne bouge pas.

Je suis chez mes parents.

J’ai donc de nouveau 10 ans.


Les rôles des parents et des enfants ressortent de sous le tapis et nous tombent dessus avec une logique aussi prévisible et pourtant imprévue que la pluie normande.

Mon père trouve donc qu’il est essentiel de porter des objets lourds ou encombrants à ma place et de tenter de faire mon éducation sportive alors que je suis tout à fait capable du premier et tout à fait incapable du second.

Ma mère décide de m’acheter tout un tas de trucs que j’aime ou suis censée aimer et de me traiter comme une grande convalescente - en même temps, je suis en rémission de jeunes enfants en ce moment, c’est vrai.


C’est bon, Papa, pas la peine de téléphoner à tous les voisins pour aller les voir. 

C’est bon, Maman, je n’ai pas besoin d’une autre crème de jour.

C’est bon, oui j’ai dit que j’aimais bien le jus de tomates mais pas tous les soirs, hein, c'est pas la peine.

C’est bon, Papa, je ne suis pas certaine d’avoir envie d’une autre histoire de club de rugby, là, c’est bon. 


Évidemment, je ne me plains pas: les parents restent les parents. On est toujours l’enfant de quelqu’un, on continue d’être toujours, quelque part, cet enfant. Et puis, comment me plaindrais-je? Je suis ramenée dans le passé, mais je suis tout autant projetée dans l’avenir, là! C’est moi dans 15 ans, ça. Moi qui reste pétrie de ce que je pense que sont mes enfants, moi qui achète des magazines de géographie à Grand parce qu’il a toujours adoré ça alors qui ne s’intéresse plus aux cartes depuis belle lurette, des maillots de foot à Milieu qui s’est depuis mis au BMX, ou qui montre des camions de pompiers à Dernier qui a tout de même 18 ans maintenant et ne veut plus être pompier depuis qu’il a l’âge de raison.

C’est le mélange instable de ce qu’on sait de son enfant et de ce qu’on ne sait pas de lui, mélange formé d’une base à laquelle on ajoute des produits dangereux, des produits inconnus, des substances indétectables, mélangez et hop! C’est votre enfant. Votre enfant à 5 ans, votre enfant à 8 ans, à 12, et apparemment donc, à 39 ans. 


C’est bon, Maman, pas besoin de m’amener, je peux aller à pied… ben, ok, si tu insistes… 

C’est bon, Papa, pas besoin de m’aider, je peux compter moi-même… ben, ok, si tu insistes…


Ils ont raison d’insister, en même temps.

Je suis en France, chez mes parents, dans leur vie. Je suis sans mes enfants. Je viens en tant que fille, et non en tant que mère.    

Ils ont raison d’insister: il est bon ce fromage, ça m’intéresse le rugby, je veux bien aller me balader, oui, et puis ok, reposer mon dos et regarder les autres plier mon linge. 


C’est bon d’être à la maison.

C’est bon, hein, d’habitude, c’est toujours moi qui m’occupe des autres!

Alors qu’on s’occupe de moi, c’est si bon!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonvacances, famille, soi
Des noms qui chantent
 

Batailles choisies #673

La toponymie est l'étude linguistique des noms de lieux, d'une région ou d'une langue, du point de vue de leur origine, de leur transformation, ou de leur signification. Et ça tombe plutôt bien, je suis en Normandie chez mes parents! 🐄


 

Pourtant, je ne définirais pas mon adolescence passée dans la Normandie où vivent mes parents comme une période particulièrement ensoleillée de ma vie.

Pourtant, je ne dirais pas que je voudrais plier bagages au Chili et venir vivre ici.

Pourtant, je ne peindrais pas ma vie idéale comme une succession de repas avec un temps limité entre eux pour faire ce que j’aime.    

Pourtant, je ne dirais pas que mon rêve était de promener le chien en forêt ou de visiter cette abbatiale du  XIIIe siècle. 

Pourtant, je n’aurais pas parié, il y a dix ans, que j’aurais sincèrement envie de visiter tous les patelins du coin du pays de Bray, qui veut dire pays de la boue.


Mais à chaque fois que je reviens ici, certes, dans des conditions toujours douces de temps libre, d’oisiveté, de vacances et, pour cette fois-ci en outre, alors que je suis accueillie par une météo digne de mon pays d’adoption, je trouve qu’il n’y a rien de plus riant que les paysages des bocages normands.


En séjour en France pour la sortie de mon dernier livre, je passe d’abord quelques jours chez mes parents, avant d’aller à Paris. J’ai habité en Normandie entre mes onze et mes quinze ans, et suis revenue dans ce village pour les fêtes, les anniversaires, tous les événements de famille qui m’y ont amené au fil des années. Tout est familier et tout est à redécouvrir à la fois, tout donne envie d’échappées belles, surtout les magnifiques noms des patelins, bleds et autres lieux-dits du coin. Il n’y a rien de plus chantant que ces noms merveilleux qui mériteraient une étude toponymique - ne me tentez pas sur cette pente aussi glissante qu’un bocage normand en hiver. Ou bien, si tentez-moi, panneaux routiers et cartes routières, allons-y gaiment comme gamin à travers champs normands!


À la Ferrière, y a-t-il eu une forge réputée dans le pays?

Et à Dampierre, y avait-il une carrière? Ou bien simplement une très grosse pierre? Ou encore une pierre d’une couleur si digne d’intérêt qu’elle a laissé sa trace indélébile dans les cartes de la région?

Et à Bouchevilliers, sans doute exerçaient-ils des abattoirs et sa cohorte de bouchers? Ou bien existait-il un vallon en amusante forme de bouche?  

Les Basses Communes étaient-elles vraiment basses et se trouvaient-ils de longs champs à Longchamps? Les feuilles étaient-elles différentes à La Feuille, à Feuilly et à La Feuillie? Le dialecte du coin a-t-il laissé Les Verguis à la place des Vergers, quelque part dans l’évolution du langage? Et que dire de ces noms qui laissent rêver, La-Chapelle-aux-pots, Saumont-la-Poterie, Bosc-Bordel, qui veulent dire complètement autre chose que ce qu’ils laissent croire? Tandis que d’autres, Trouville, Perduville, ou Hauteville, sont parfaitement transparents. Il reste bien sûr à se réjouir que les mélanges de langage et les évolutions de l’oral comme de l’écrit nous ait laissé, Morgny (la morne), Frileuse (ça caille dis donc), Le cercueil (dernier clou), Le mort (qu’est-ce que je vous disais) et puis, celui-là, qui me laisse des explosions de paillettes dans la tête: Le Mal Assis.


Mais moi, je suis bien, là, assise confortablement dans la voiture, à regarder défiler des merveilles toponymiques, cartes postales de mes vacances.


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