Mensonges et bons sentiments
 

Batailles choisies #685

Mensonges blancs, bobards noirs, faussetés dorées… Grandir, c’est mentir. 🤫


 

- Les enfants, vous faites quoi?

Chuchotements derrière la porte fermée. Bruit de meubles. Cliquetis net d’un ordinateur qu’on referme.

Grand a invité ses deux meilleurs amis, J. et L., à une soirée pyjama. Il est seul, ses frères étant avec leur père chez la grand-mère. C’est donc bien bizarre qu’ils aient senti le besoin de fermer la porte de la chambre. C’est encore plus bizarre qu’ils aient poussé le bureau pour la bloquer. 

- Vous regardiez l’ordinateur, les enfants?

- Euh, oui, Maman, mais on regardait juste des… euh… des Mochis et des… peluches de capybara, dit mon aîné avec force gestes et un petit bégaiement qui traduit de la nervosité.

- Mouais, dis-je. Ben en tous cas, les enfants, vous êtes venus faire une soirée pyjama, donc vous profitez qu’il fasse encore beau, encore jour, et vous sortez.


Mon fils et ses amis disparaissent comme une envolée de moineaux, heureux et riants. Dès qu’ils sont sortis, je me dis, non, c’est trop bizarre quand même. Je vais ouvrir l'historique de navigation. Même pas la peine, d’ailleurs, d’enfiler casquette de détective ni d’allumer une pipe pour réfléchir: le dernier site est ouvert, une vidéo youtube de pom-pom girls, en espagnol, un truc absolument idiot, que Grand et ses amis étaient en train de regarder.

Grand m’a donc menti.

Il m’a menti sur le contenu de ce qu’ils regardaient, il m’a menti sciemment parce qu’il savait bien que je ne serais pas d’accord qu’ils matent cette bêtise, et il m’a menti devant ses amis.       


Je m’en réjouis.

Enfin, non, être prise pour une idiote, pour une née de la dernière pluie, non, ça ne me réjouit pas, ce n’est pas agréable.

Mais je suis heureuse de savoir que mon aîné dépasse cette timidité, cette obéissance qui a été la sienne et qui, certes, est souvent agréable mais qui, en réalité, au bout du compte, lui pèsera. Mentir, essayer d’arriver par tous les moyens, et surtout ceux qui nous ont été interdits, à sa fin, est un apprentissage utile. C’est la preuve d’un petit cerveau en ébullition, d’une volonté qui s’affirme, qui a des idées, qui a besoin de limites et de contrôle, aussi.   

Mentir pour ne pas se faire prendre en train de regarder des vidéos idiotes est la marque d’un égoïsme gentil, un égoïsme d’enfant, un égoïsme innocent. 


Pour moi, sa mère, c’est aussi un terrain d’entraînement pour les mensonges d’adolescent ou de jeune adulte qui viendront très certainement faire partie de notre quotidien dans quelques années.

Je suis donc plus attentive, moins encline à faire confiance à mon fils. 

- Tu es sûre que tu n’as pas d’autres devoirs? Tu m’as dit que non, mais là, dans ton cahier, il y a écrit que tu as une poésie à apprendre pour mercredi. 

- Ah oui, je l’avais oublié!

- Dis, donc, Grand, tu fais quoi sur le tabouret à essayer de fouiller dans l’étagère?

- Euh… rien… je voulais juste voir si tout était bien rangé.

- Hmm. Et tu ne cherchais pas plutôt les chocolats de maman, qui sont là-haut?

- Hihihi. Si…

- Grand, tu t’es lavé les dents, ce soir?

- Oui, oui…

- C’est bizarre parce que ta brosse à dents est sèche.

- Euh…


C’est rien de bien méchant, quand même.

Parfois, pourtant, je me fais avoir. Comme cet après-midi, où, après avoir rangé la cuisine, je monte chercher mon ordinateur pour me donner un temps de travail. Sauf que, dans la salle de jeux, des peluches trainent par terre, des blocks, quelques feutres. Puce à l’oreille. Attends, et s’il n’avait pas rangé… Dans la chambre de Milieu et de Dernier, une montagne de peluches sur le lit. Des vêtements qui s’étalent de tout leur long ou qui se roulent en boule sur le sol. Des crayons. Des livres.     

Mais, Grand, je t’ai dit: tu vas ranger la chambre de tes frères, là-haut, puisque tu y as joué avec tes amis, et qu’on était d’accord que tu devais la ranger, et ensuite tu peux regarder la télé.

Je l’ai pas fait, dit-il nonchalamment. 

Enfin, je t’ai fait confiance! Tu m’as donné ta parole! C’est vraiment une mauvaise chose de mentir! Hors de question que tu me mentes comme ça. Tu vas ranger immédiatement, et tu peux oublier la télé, hein! 

Me prendre ainsi pour une idiote, me mentir à la face, à moi, sa petite Maman dévouée, non mais!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

La punition est levée
 

Batailles choisies #684

Une bien belle vue depuis la Pré-Cordillère: des champs labourés, des sommets enneigés et la presque fin du tunnel, là, juste derrière la chaîne montagneuse. 🌼


 

Dimanche, 9 heures du matin: 

- Dernier, ça te dit, on va faire une randonnée tous les deux?


Dernier répond immédiatement un oui enthousiaste, sautillant et battant des mains. Tout de suite, il sait ce que veut dire “randonnée”, demande où sont les chaussures, puis se met à préparer le pic-nic - une pomme verte, une barre de céréales et de l’eau. J’y ajoute une autre pomme verte (en cas de chute de la première), des biscuits au chocolat (j’ai de sérieux doutes sur le goût des barres vegan achetées par mon fils parce que l’emballage était joli), une deuxième bouteille d’eau (pour nettoyer les pommes chues). Je suis une mère expérimentée, après tout. Les sorties galère, ça me connaît, et les trucs et astuces pour les rendre un peu moins galères, aussi.  


À l’aventure!

On n’a que quelques centaines de mètres à faire pour arriver au morceau de montagne qui se trouve juste derrière chez nous. On marche main dans la main avec Dernier, on prend le temps de lambiner un peu, de regarder des insectes sur le trottoir, les herbes folles qui poussent dans les interstices du béton, puis on arrive à la montagne. Dernier attaque un sentier droit dans la pente pendant de longues minutes. Arrivé à une route en terre plus large, au milieu de la montagne, il s’arrête pour souffler. Puis, on s’assoit tous les deux pour regarder le paysage, qui est magnifique, toujours aussi magnifique. 

La Pré-Cordillère, en cette saison, a encore les aplats jaunes des fleurs sauvages qui la recouvrent au printemps et que l’été brûlera entièrement sous peu. La teinte des montagnes passe donc d’un vert encore profond sur l’ubac, à un jaune vif, à un brun sec déjà sur les versants d’adret. La vallée de Colina s’ouvre devant nous, avec les petites montagnes (dans ce pays où elles sont si hautes) qui l’entourent et que l’on voit, au loin, de tous les côtés. On distingue les champs, les canaux d’irrigation, les hauts arbres centenaires, les routes et les maisons d’hacienda. Quelques sommets sont encore enneigés. Le ciel gris par endroits, assez bas, et ses trouées bleues, révèlent les couleurs plus que ne le fait l’écrasant soleil de l’été. 

C’est magnifique. 

C’est toujours ce que je me dis quand je suis en plein air avec mes enfants. Qu’elle est belle, cette région dans laquelle nous vivons. Que nous avons de la chance. Qu’on a de la chance d’être là, tous les deux.       

Il fait une température fraîche parfaite. Les nuages, le ciel bas, nous offrent le répit à la chaleur écrasante qui va bientôt s’emparer de la région.

Il fait suffisamment frais pour qu’on zippe nos pulls et qu’on se serre l’un contre l’autre.

C’est chouette.


Ça y est, sortir avec Dernier n’est plus une punition. Il ne faut plus tirer à la courte paille pour savoir qui va se farcir notre petit dernier, petit terrible, petit capricieux, petit tyran.

Il écoute quand on lui dit d’arrêter de se rouler dans la terre, il partage son pic-nic, il ne pleure plus quand sa pomme tombe, comme inévitablement elle allait le faire - merci expérience, bouteille d’eau et deuxième pomme. On rigole quand on glisse, cul par terre, jusqu’en bas parce qu’on a mal évalué la descente. On en parle tout le chemin, de cette aventure, dans le babillage de mon fils: on va raconter quoi à Papa, quand on rentre ? - Qu’on est tombés dans la montagne et que poum sur les fesses ! - Et? - Et bobo. 


On a même la chance de voir des motocross qui passent tout près, de terminer nos goûters - les biscuits au chocolat font bien meilleur effet que les barres vegan, merci expérience.    


Bon, oui, sur le chemin du retour, j’ai dû le porter parce qu’il était trop fatigué. Bon, oui, sur les derniers mètres, il a fait un gros caprice parce qu’il ne voulait plus marcher et que je ne voulais plus le porter

Mais globalement, je dois bien dire que: la punition est levée. 

- Dernier, ça te dit, demain on refait une randonnée?


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣