Le syndrome de Dory, ou l’amnésie maternelle

 

Batailles choisies #107

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En deux mots:

Les mamans ne se souviennent de rien. Ça doit être pour ça qu’elles font plus d’un enfant.


 

Mais est-ce qu’à deux ans, Grand était aussi difficile à habiller? Est-ce qu’il fallait lui courir après comme ça? Parce que, là, pour Petit, c’est pfiou! Il faut le poursuivre, lui mettre par traîtrise, en lui faisant croire qu’il y a une girafe dans le jardin, un vêtement après l’autre, une chaussette, un pantalon, l’autre chaussette, un t-shirt, pull en option si la chasse a été trop longue déjà. Souvent, ses vêtements à peine mis, il essaie de les enlever en me regardant droit dans les yeux d’un air de défi, et qu’est-ce que tu vas faire grognasse.


C’est pénible! Il était comme ça, Grand?

Impossible de me rappeler quoi que ce soit de précis de l’aîné. 


Je demande à ma sœur qui a vécu avec nous quand mon aîné avait l’âge de Petit:

-Tu te rappelles si Grand était aussi difficile à habiller?

Elle éclate de rire. 

-Ben oui, tu te rappelles pas que c’était la bataille tous les jours de l’habiller?

« C’est fou d’oublier comme ça »



Euh non.

C’est fou d’oublier comme ça. Deux ans d’écart, deux ans, ça ne fait pas beaucoup, et pourtant je ne me rappelle pas. Évidemment, tout n‘est pas passé aux oubliettes. Je me souviens des plus âpres batailles: réussir à sortir de l’appartement pour aller à la crèche, étaler, maman, étaler le beurre sur la tartine, pas déposer, ou apprendre la propreté.



Mais il n’en reste pas moins que je suis incapable de comparer Grand et Petit, que les ennuis que j’ai eus avec mon aîné se sont perdus dans ma mémoire.



C’est quoi cette amnésie alors?

À quoi elle sert? 

« La nature veut effacer nos peines anciennes »

J’ai l’hypothèse que c’est la nature qui veut effacer les peines anciennes (qui étaient minuscules) et faire de la place pour les nouvelles à venir. Elle marche d’une étrange façon, cette mémoire de maman. Ma mère d’ailleurs est incapable de se souvenir à quel âge l’un de nous trois faisait telle ou telle chose, ou si un apprentissage était particulièrement laborieux. Ah, non je ne me rappelle plus.

 

La mémoire de maman doit avoir un usage: laisser les bons souvenirs en effaçant les moins bons. Si je faisais le compte, je crois qu’il y aurait, dans ma mémoire vive, plus de moments joyeux alors qu’au quotidien, c’est l’inverse.

Et c’est comme ça qu’on fait un deuxième enfant alors qu’on s’est dit plus jamais ça pour le premier. Ça doit être le même truc qu’utilise le corps envoyant des signaux positifs à la femme sur le point d’accoucher, pour lui faire croire que tout va bien se passer, pour qu’elle saute dans le vide les yeux bandés avec un grand sourire.



J’ai donc vraiment l’impression d’être Dory face à mes enfants. Je ne me souviens de rien et je m’extasie devant ou m’interroge sur les mêmes choses pour le deuxième que pour le premier, avec la même impression de fraîcheur et de nouveauté - et un sourire bien moins béat quand même.

 
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