Les enfants, ça pollue
Batailles choisies #305
Parents, vous faites comment pour vivre avec cette accusation de “les enfants, ça pollue”? Et vous faites comment pour vivre avec votre propre angoisse écologique? Bienveillance ou passage à l’action? On s’en sort comment? 🌎
J’éprouve un certain agacement face à cette idée qu’on entend souvent: “avoir des enfants, c’est mauvais pour la planète” ou “les enfants, ça pollue”.
Je la trouve injuste, pour une complexité de raisons, que je vais déplier un peu. Ce n’est pas polémique, c’est juste que j’essaie de raisonner ma culpabilité, la placer là où elle est utile, je cherche de l’aide d’autres parents qui vivent les mêmes angoisses.
Deux points pour entrer dans le vif du sujet:
Ce ne sont pas les enfants qui polluent, mais leurs parents.
En tant que mère de trois enfants, je voudrais polluer moins. Je suis ultra anxieuse à propos du sort de notre planète et des générations futures. J’aimerais faire plus. Je devrais.
Juste comme ça, sans trop y penser, voici quelques exemples de polluants produits par ma famille: couches jetables, produits d’hygiène et de ménage (contenants plastiques, ou à usage unique, comme le sopalin ou les lingettes désinfectantes), emballages plastiques alimentaires. J’ai beau limiter, impossible d’enlever totalement les emballages de fromage, de pain à cuire dont raffole celui-ci, de beurre, de légumes congelés pour les dimanches soirs pressés, de biscuits à amener à l’école.
Au-delà de ce caddie de courses, il y a d’autres choses de notre famille qui me dérangent, qui sont davantage liées à la vie que nous avons choisie et qui nous a choisis: les deux voitures et les petits trajets réguliers pour aller à tel ou tel endroit du péri-urbain; l’arrosage du jardin; les milliers de litres d’eau qui partent en bain des enfants et en lessive quotidienne; les vêtements neufs; la maison dans un quartier gentrifié construit sur des terres agricoles condamnées à disparaître, et leurs agriculteurs avec; les jouets ou le petit électroménager qu’on ne prend pas la peine de réparer; d’autres, d’autres, pleins de choses qui me terrifient, qui me font me demander où je nous entraîne tous...
C’est tellement lourd à porter, tous ces échecs, toutes ces actions individuelles dont je sais qu’elles sont nocives. J’essaie de me débattre avec, de faire à ma hauteur: mettre le prix dans des produits de nettoyage sans polluant, acheter des vêtements d’occasion, limiter la consommation de viande, acheter à des producteurs locaux plutôt qu’en supermarché.
Mais c’est limité. Et c’est bien peu. Ce n’est pas assez, je le sais bien. Et c’est déjà un luxe de parents qui ont des métiers leur laissant un peu de temps et de disponibilité d’esprit.
C’est la société de consommation qui pollue
Pour revenir à mon agacement maintenant.
Cette accusation que “les enfants, ça pollue”, que c’est irresponsable d’avoir des enfants parce qu’ils augmentent notre empreinte carbone, me semble prendre le problème à l’envers.
C’est plutôt que dans la société dans laquelle on vit, individualiste, où le travail parental et domestique n’est pas considéré comme un travail, avoir des enfants ne laisse d’autre choix que de se jeter dans la société de consommation - c’est elle qui pollue.
Mon problème, c’est les “y a qu’à” et les “faut qu’on”. Ceux qui vont me sortir: savon en barre, exit les coton-tiges, vélo, couches lavables, enfin, c’est pas bien compliqué! Parce que pour chaque item où j’arrive à faire des efforts (je n’ai jamais acheté de petits pots pour bébés par exemple), il y a un autre item qui alourdit notre empreinte. Et je pense, j’espère, que les parents auront l’honnêteté de dire qu’ils sont dans ce même exercice de balance, alléger d’un côté, alourdir de l’autre, en ayant la douloureuse impression d’alourdir bien plus que d'alléger cette empreinte, malgré notre conscience, malgré nos efforts.
J’essaie, pourtant - et j’échoue. Deux exemples: j’ai essayé mais n’ai pas tenu pour les couches lavables et puis à la crèche, ils ne les acceptent de toute façon pas; le consommer local, de saison et bio, oh, comme j’aimerais! Vraiment, là où je vis, où je vois les champs, les ouvriers agricoles, vraiment, je me décarcasse pour cet item qui me tient à cœur! Mais, au Chili, sortir des circuits de la grande distribution et trouver du bio relèvent tous deux de parcours du combattant. Je connais quelques producteurs de la région, je leur achète tout ce que je peux - et c’est peu.
Une responsabilité partagée?
Alors mon agacement, plus précisément, vient de là: réduire notre empreinte carbone, limiter notre recours à l’ultra-consommation-tout-jetable, le comment est très difficile, mais surtout le quand. Quand la réduire? Avec quel temps?
“Ce ne sont pas les enfants qui polluent, mais leurs parents”, ai-je écrit plus haut.
Si je reprends l’image des journées de travail, en tant que mère, j’effectue une double journée de travail. Si les “y a qu’à” et les “il faut que tu” effectuaient, en plus de leur travail, un deuxième travail aussi prenant, aussi important, un pour lequel on ne prend jamais de vacances, pourraient-ils manger local, se déplacer partout à vélo, laver des couches à onze heures du soir, faire leur potager, réparer un jouet ou rapiécer un vêtement, après leurs deux journées de boulot? Je me demande combien de personnes, parmi celles qui disent que les enfants polluent, ont proposé leur aide, c'est-à-dire donné de leur temps à des parents, pour qu’ils puissent cuisiner tout maison, aller plus loin pour faire leurs courses, leur proposer de chercher des vêtements d’occasion en taille 8 ans. Et pas une seule fois, mais de manière régulière, comme si on partageait la responsabilité d’élever les générations futures dans une planète habitable.
Responsabilité partagée. De la science-fiction. Je dois rêver, bien entendu.
Les parents sont des pollueurs, oui.
Mais quelles possibilités laisse-t-on aux parents? Pas la peine de dire “faites des priorités”, “travaillez à mi-temps”, "déménagez à la campagne” (encore moins “ne faites pas d’enfants” puisque ce n’est pas la question).
Notre société n’est pas construite sur le temps, long, du soin à l’autre, mais sur le temps rapide de tout ce qui se jette.
C’est dur à dire mais consommer, et donc polluer, constituent un soutien dans mon travail parental. C’est parfois, au quotidien, ma seule aide.
Planète et enfants, même combat
Et quoi, nous, parents, on paie les pots cassés d’un système qui non seulement ne reconnaît pas notre travail tout en l’exploitant mais qui en plus, ne prend pas en compte nos besoins, ne les juge pas légitimes! On est coincés, nous, parents, nous, mères surtout, dans un système qui ne nous convient pas et dont en plus il faudrait répondre. Ça me ronge et me met en colère, contre moi pour ne pas faire plus, contre le monde pour tout le reste.
Si le travail du soin, pas juste à un autre être humain, mais aussi le soin à tout le vivant, animaux, plantes, Terre, n’est pas un travail, alors il va toujours rester à la marge de nos vies prises dans une logique de réduction des temps et des coûts, déconsidéré, rejeté sur ceux qu’on exploite.
Prendre soin de la planète et prendre soin des enfants vont de pair.
Et si nous vivons dans un monde qui a fini par les opposer, alors, c’est plus le monde qui a un problème, que mes enfants.