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Que des bons souvenirs
 

Batailles choisies #572

Les pires sorties avec ses enfants sont parfois les meilleures… ou est-ce l’inverse? ☔️


 

On a des bottes. La pluie a cessé. Sortir nous fera à tous les trois un bien fou. Après une matinée pluvieuse à tourner en rond et à regretter d’avoir engendré les sales gosses que j’ai pour enfants, j’entends Milieu proposer, avec un enthousiasme lumineux: on va faire la randonnée?

J’avais l’intention de les amener dans une salle de trampoline du quartier, sauf que je préfère toujours être dehors qu’enfermée. Donc, ok, “la” randonnée. Celle que Milieu aime bien faire, derrière l’école allemande. D’accord Milieu, on y va. On s’équipe, on emporte un goûter, mais c’est toi le grand frère. Puisque Grand est à un anniversaire, tu dois être un soutien et m’aider avec Dernier, ok? Tout le monde promet et tout le monde sourit.

Suis-je réellement aussi naïve? Ai-je vraiment en tête l’image de la sortie idyllique d’une famille parfaite? Non, je suis une mère expérimentée… je sens bien venir la catastrophe, mais il faut quand même faire quelque chose de sa journée et revenir trempée et pleine de boue sera toujours mieux qu’empêcher Milieu de mettre des coups de pieds dans la tête de son frère, et Dernier de vider le flacon de savon sur la brosse à cheveux.


Nous voici arrivés à “la” randonnée, un immense espace de nature derrière une école du quartier, les montagnes de la Précordillère en fond, hautes et majestueuses, et des monts qui y mènent depuis le large chemin pierreux, une végétation encore sèche malgré la saison hivernale, de très hauts arbres ça et là en bosquet sur le fond de la vallée, indiquant le meilleur arbre-cabane du coin pour l’un, la meilleure rivière où jeter des cailloux pour l’autre. Je me gare devant l’entrée, sur le terrain vague habituel, où il n’y a qu’un pick-up puisqu’évidemment il n’y a que moi pour amener des gosses après la pluie dans un vaste champ de boue et de problèmes.


Boue…


Dernier a mis ses mains dans une flaque dès le premier mètre. Milieu a jeté dans un rû sale des cailloux comme s’il tapait dans un ballon pour une finale de la Champion’s. Ils ont crié des grossièretés d’enfants à une vache qui broutait et n’avait rien demandé. Je leur ai fait éviter le danger d’un troupeau de ruminants et pire, de la gadoue à leurs pattes, parce que bon, les gosses pleins de boue, je vais tout faire pour éviter…


Boue…


Milieu, qui m’a promis d’être le grand frère et de faire attention à son cadet et qui va vraiment m’aider mais si si Maman, n’en fait qu’à sa tête, avance, jure que c’est par là alors que non, tente d’encourager son petit frère en lui faisant des promesses qu’il ne peut pas tenir (- Dernier, si tu avances, je te donne un bonbon… - Mais Milieu, on n’a pas de bonbon!). Dernier veut être porté, Milieu le bouscule pour le faire tomber, dans une flaque de gadoue dont je le sauve in extremis… C’est galère, comme il fallait s’y attendre mais j’ai, pour l’heure, su rester propre et sans boue…  


Boue…

Boue…

Quelque chose avec la boue…

Mince, la boue!

J’ai garé la voiture dans la boue… oh non!

La voiture!

La voiture, je l’ai mise sur le terrain vague… où il avait plu! Et si je restais embourbée? Oh, non! 


Me revient soudainement en tête cette fois où, avec ma sœur, alors qu’on avait bien entamé l’âge de raison, à trente ans passés, on avait emprunté la voiture de nos parents pour aller faire du tourisme dans un patelin, pas bien loin, mais décidément en Normandie, décidément en novembre, décidément après la pluie et décidément dans la boue d’un bas-côté. J’avais garé la Volvo grâce à une bien belle manœuvre en épi… Au moment de repartir, les roues patinent. Le roues s’enfoncent. Nos dignités aussi. La voiture ne bouge pas. Ma sœur et moi nous regardons bras ballants sous nos manteaux de citadines. Il faut se résoudre à appeler nos parents pour leur dire que, euh, ben, on a coincé la voiture dans la boue, euh, on peut pas repartir, euh, ce qui mène à la phrase-culte de notre père dite en hurlant dans le combiné avec tout son amour paternel: 

- Mais vous êtes connes ou quoi? 

Sans doute à cette époque, oui… mais près de 10 ans plus tard, et sans parler pour ma sœur, je dois avouer que je suis encore plus conne, alors, si je n’ai rien appris et que j’ai garé la voiture sur le terrain vague après la pluie!


Nous sommes au milieu de notre balade et cette pensée que j’ai laissé la voiture embourbée, que je vais revenir à la voiture avec deux gosses fatigués et sales, que je vais devoir appeler Mari pour qu’il me sorte de ce mauvais pas, qu’il va me demander, sans doute avec tout son amour conjugal, si je suis conne ou quoi, ne me quitte plus et colle à mon cerveau comme la boue à nos chaussures. 


Dans l’arbre-cabane, Dernier, pour s’amuser, renverse tout le contenu de notre bouteille d’eau et forme une large flaque de boue dans laquelle il plonge les mains. Sous une branche, des campeurs sauvages ont oublié une casserole pleine d’eau de pluie que Dernier et Milieu renversent pour former un petit ruisseau salissant. La pomme que croque Dernier tombe de l’arbre et glisse dans la terre mouillée, entraînant des torrents de larmes. Je tente de faire repartir tout le monde, mais pas si vite, Maman! Ils se souviennent bien de la rivière, là-bas sous d’immenses eucalyptus, celle où ils vont jeter des cailloux, celle qui va causer notre perte à tous…. 

Là, elle cause notre chute. En descendant vers le cours d’eau, je glisse dans la gadoue et me casse la figure, me retrouve cul par terre, alors que Milieu a déjà trouvé en quelques secondes une belle flaque pour ses chaussures et que Dernier s’enfonce jusqu’à la cheville dans une fange immonde puis demande à venir dans mes bras pour me dégueulasser les vêtements, pantalon, veste, pull, tout. 


Boue, tu as gagné… Mais boue… gagneras-tu, encore?


On rentre, on rentre! Vraiment, plus on tarde, plus je m’imagine, avec mes gosses qui chouinent, avec ma voiture qui patine, avec mon mari qui fulmine. Je tente tout de même de rester positive, non, non, la voiture est légère, allez, oublie, ou essaie d’appeler les dépanneurs d’abord pour éviter le divorce, achète-toi un peu d’insouciance! Mon côté relax prend le dessus, de toute façon, qu’est-ce qu’on peut faire, on avance et on verra.


L’air frais qui rosit les joues est délicieux et ouvre nos poumons en grand, comme les yeux de mes petits. Dernier et Milieu rient aux éclats, boueux mais heureux, regardent une puis deux puis cinq puis dix volées d’étourneaux passer au-dessus de nous, ravis. L’air est propre, nettoyé par la pluie, la lumière de la fin de journée éclaire les montagnes d’une caresse dorée. Que c’est beau. Comme elle est douce, cette sortie, à “la” randonnée.


Bon, on est à la voiture.

Le terrain vague est plus sableux que boueux, en fait. Il me suffira de jeter les vêtements plein de boue dans la machine et les enfants pleins de boue dans le bain. 

La voiture bouge sans aucun problème et dans la fumée du pot d’échappement, je laisse mes inquiétudes, les mauvais souvenirs et ne ramène à la maison qu’une mère sereine, que des enfants heureux et que des bons souvenirs.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Fleur de cactus
 

Batailles choisies #345

Se sentir triste quand on regarde la nature, c’est le cadeau terrifiant que nous faisons aux générations futures🌵


 

Au printemps

Fleurissent les cactus chiliens

Branches épaisses d’où surgissent

Des pétales d’un jaune caresse

Clairs, pointus, épais

Comme une protubérance

Accrochée aux colonnes

En lanterne, en phare


Délaisser mon téléphone

Brillant des nouvelles sombres d’un monde qui s’embrase

Les dirigeants du monde ne s’accordent pas

COP26 et rien

Horizon 2030 et toujours rien ou si peu?


Délaisser oublier

C’est un beau dimanche de novembre et on va aller marcher

Respirer, regarder, me réjouir,

Avec ma mère et mon dernier-né

Enfouir les mauvaises nouvelles

Transmettre le goût de la nature à ses enfants, comme ce goût m’a été transmis

S’éduquer à aimer le grand air, à le rechercher

Offrir la nature aux générations futures

Alors, mon bébé, on sort?   

Cadeau de ses yeux gourmands à sa maman chérie

Bien vrai, Maman, semble-t-il me dire, on va dehors

Mais oui mon cœur

La montagne juste à côté

La vue est si belle sur la vallée, sur la Cordillère au fond 


Le roulis de la voiture qui nous amène au parc

Les larges routes fleuries qui nous amènent à la fin de l’humanité

Ces titres de la presse qui me taraudent

Qu’est-ce qu’on attend! Qu’est-ce qu’on peut faire?

Pourtant tous les scientifiques s’accordent!

Au lieu de ça les blablas sur un plateau

De Messieurs X, Y, ou pire, Z,

Mauvaises questions et mauvaises réponses

Comment hurler, d’ici, depuis mon petit moi?


L’air est frais et vif mais ne pas tarder à attaquer le dénivelé le soleil nous menace déjà

Au parc où je voudrais venir plus souvent, des centaines de cactus

Lèvent leurs bras vers les nuages

Au printemps, ils fleurissent, ce sera magnifique

Maman, Dernier, vous allez voir!

Trois générations

Dans la nature

Respirer

Expirer

Admirer 

Connaître sa chance 


Branches sèches qui craquent sous les pas

Suer les mauvaises pensées

Ils ne font rien, ces vieux, ces blablateurs, ces menteurs,

N’ont-ils jamais marché sur des sentiers encore frais?

Ne se sont-ils jamais sentis petits, humbles?

N’ont-ils jamais dit à leurs enfants, regarde la nature, aime-la, c’est un cadeau


Les arbres poussent solidement sur la pente ocre

Sèche, de plus en plus sèche,

Région centrale du Chili

Qui a trop chaud

Arbres natifs qui s’acharnent à faire naître petites feuilles et fleurs jaunes

Chandeliers de cactus 

Dont un, massif en bordure de sentier

Ouvre ses bras

Nous faisant un peu d’ombre, c’est gentil

Attention aux épines longues comme des reproches

Le monsieur pointu porte en lanternes ses fleurs jaunes

Certaines grandes ouvertes

D’autres encore timides


En haut, la vue sur les champs de Colina

La Cordillère en écran d’éventails posée contre un ciel clair

Les marcheuses sur la mer de nuage bleu du smog 

De nos erreurs

De nos lâchetés

La bourgeoisie en bas 

Résidences proprettes et trop arrosées

La culpabilité

Ma bourgeoisie

Ma résidence proprette et trop arrosée où je vis heureuse avec mes trois enfants

En sortir le dimanche pour apprécier la nature

Cette nature qui devrait

Comme celle qui a émerveillé mon enfance

M’élever l’âme

Mais cette vue me la grève, me la leste

La nature en danger, c’est le cadeau pour mon dernier-né?

Comment hurler, d’où je suis, d’où je vis

La révolution

Il faut s’y frotter quitte à s’y piquer

Il faudrait s’y frotter

Ça pique, pourtant


Nous élever l’âme, regarder la beauté avant qu’on l’étouffe

Redescendre

Dernier s’est réveillé

Émerveillé

Il a tout regardé mais il risque de s’agiter

Il faut rentrer

À pas prudents

Descente qui glisse

Le cactus en bordure de sentier

Me salue

Massif, ses quatre, non cinq, non six fleurs qui regardent elles aussi la vue!


Horizon 2050

COP combien?

Mes enfants auront 30 ans

Comment démêleront-ils ce tas d’aiguilles?


Cadeau pour les générations futures

Un monde de cactus sans fleur


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonnature, tristesse