Scroller ou écrire
Batailles choisies #323
Le smartphone est-il un piège à écrivain.e.s? Ou comment répondre autrement à la question: peut-on écrire lorsqu’on a des enfants? 🌞
Le printemps est là!
Et avec lui, l’heure d’été!
Et avec elle, les sorties de fin d’après-midi!
Et avec elles, la brise et le doux soleil annonçant le soir à venir!
Je suis à un square tout à côté de chez nous, avec les enfants. Ils grimpent, glissent, se disputent, se réconcilient aussitôt, se pourchassent, se violentent, viennent voir leur maman et leur bébé de petit frère assis sur un carré de pelouse, repartent en courant et en riant.
Mes pensées divaguent, les idées vont et viennent, filent, s’emmêlent, se démêlent.
À côté de moi, dans l’herbe, brille mon téléphone.
Si je regardais les titres de l’actu, ou si je scrollais sur Twitter?
Ou bien… avoir un peu de volonté, ce serait bien aussi, non?
Souvent, on m’a posé la question: mais comment tu fais pour écrire avec les enfants?
Souvent, je me pose cette même question, qui a deux versants, le temps (que je mets de côté pour l’heure) et l’inspiration: comment faire pour trouver des choses à dire, pour regarder les enfants qui font des choses inintéressantes et merveilleuses d’enfants, et me dire, voilà, je vais écrire ci ou ça?
Encore tes obsessions, Héloïse, allez, arrête la manivelle de ton cerveau, là…
Regarde Twitter, un peu.
Mon téléphone est posé sur l’herbe. Il brille. Il me susurre que je devrais passer plus de temps à lire la presse, au lieu d’être larguée en politique et en économie. Il me susurre que peut-être on m’a tweeté quelque chose, ou que je devrais tweeter quelque chose.
Les cris menaçants de mes aînés et Dernier qui est en train de goûter une feuille morte me tirent de ce mauvais pas.
Non, stop!
Stop, les grands!
Stop, bébé!
Stop, Héloïse! Réfrène-toi.
Il ne se passe rien dans cette petite boîte noire ou alors il se passe trop de choses dans la vitrine des réseaux sociaux, belle autant qu’artificielle.
Je n’ai pas grandi avec un téléphone et je plains les générations qui se construisent avec. J’ai eu un smartphone très tard avec ses avantages, parler avec sa famille à l’autre bout du monde, et ses inconvénients: un smartphone est un puissant anesthésiant. Il écrase les pensées, les sentiments, il divertit au lieu de faire passer le temps.
Il m’empêche de penser à un peu tout et un peu rien, de laisser les idées et les mots s’agiter dans ma tête, comme les flocons blancs d’une boule à neige, et se poser - voilà, c’est ça qu’il manque à cette phrase oh c’est rigolo ah pas mal cette idée!
Il se passe quoi dans le vrai monde, loin de la boîte noire, dans celui de la routine, des enfants, au square? Grand veut monter en premier sur le toboggan et montre à son frère un camion, là-bas, regarde, pour le distraire - sale gosse. Milieu se met à essayer de dévisser un banc - s’il ne devient pas inventeur, lui, j’en perdrai mon latin. Grand s’écrie qu’il y a un camion-toupie, un vrai cette fois - bon, il est aussi capable de faire plaisir à son frère, ce n’est pas un psychopathe. Dernier plonge ses petits poings dans les brins d’herbe et découvre une sensation merveilleuse.
Il ne se passe pas grand chose, juste assez. Il ne se serait rien passé si j’avais scrollé comme une malheureuse.
Une forme d’oisiveté, de lenteur, de retraite du monde, m’est nécessaire pour écrire. Regarder plutôt que participer, penser plutôt que dire, endurer plutôt que réussir.
Vade retro, smartphone!
Reste là-bas!
Écrivaines génitrices, écrivains géniteurs, vous voulez écrire?
Posez votre téléphone et allez avec vos enfants vous allonger dans l’herbe.