Barbe bleue

 

Batailles choisies #377

Où une écrivaine maman reprend un conte classique qui parle de promesse et de secret, non sans avoir troqué le monstre sanguinaire tueur de femmes pour deux chenapans de sa confection. 🧔


 

Il était une fois deux garçonnets qui avaient terriblement envie de manger des bonbons. 

Pas n'importe quels bonbons, non! 

Ces bonbons longs, cyans, fuchsias ou violets, ces bonbons pleins de sucre qui seront servis aux invités à l’anniversaire, ces bonbons auxquels jamais ô grand jamais ou presque on a droit d’habitude, ces bonbons qui, pleins de produits chimiques, ont le délicieux goût de l’interdit.


- Maman, maman, demande Grand d’une voix mignonne, où ils sont les bonbons longs, tu sais ceux que tu as acheté pour mon anniversaire?

Grand a pris sa voix neutre d’enfant qui ne va pas faire de bêtises, non, mes aïeux! Derrière lui, à peine caché par les épaules de son aîné, dépasse Milieu, regard filou et sourire malicieux. 

- Grand, tu m’avais promis que tu ne parlerais pas des bonbons à Milieu! Parce qu’après, tu sais bien qu’il va les réclamer! Bon, je vous montre les bonbons que j’ai achetés pour l’anniversaire, mais je vous rappelle que c’est pour les invités! Vous ne pouvez pas en manger, d’accord?

Devant les trois boîtes de bâtonnets type Fizz, cinquante fuschias, cinquante violets, cinquante bleus cyan, les deux paires d’yeux brillent de voir cette merveille qui scintille! Jamais ils n’ont posé leurs regards sur un tel trésor! Loin des fruits et des goûters sains, il existe donc, dans ce bas-monde, des bonbons fées, si beaux, si longs, si éclatants de sucre!

- Les garçons, je les cache jusqu’à l’anniversaire, parce que je préfère éviter les problèmes! Maintenant, je vous laisse, je dois m’occuper d’une affaire d’importance - étendre la lessive. Je serai dans le jardin, d’accord? Vous pouvez vous occuper à ce que vous voulez, juste pas les bonbons, d’accord?

On fit moult promesses.


Maman, Maman, ne vois-tu rien venir?


Dès que Maman fut partie, les deux frères ne purent résister: ils se mirent à chercher et chercher les bâtonnets sucrés. Ni les jouets, ni les voitures, ni les livres, ni les legos, ni les ballons, ni le trampoline ne les intéressaient. Dans le château de la maison, les placards étaient hauts, les tiroirs profonds, les cachettes nombreuses, l’exploration dura le temps de l’affaire de Maman. 


Qu’entends-je?

Des petits pas pressés.

Des messes basses.

Des placards qui claquent.

Des tiroirs qui coulissent.

Des voix joyeuses.


Que vois-je?

Des petites mains qui ouvrent et ferment.

Des bouches qui rient.

Des doigts qui pointent en direction d’une pièce encore inexplorée.


Et que vois-je à présent qu’est finie mon affaire et que je suis de retour?

Un escabeau déplacé sous le plus haut rangement du plus haut meuble de la cuisine.

Des traînées de sucre rosé sous mes pas montant les marches.

Oh! Et ici?

La poignée de porte de la chambre est tachée de rouge, ce rouge collant où ont imprimé des empreintes de petites mains, ce rouge pénible qui ne s’efface qu’avec difficulté.

Je pousse la porte de la chambre, qui s’ouvre dans un grincement. D’abord, je ne vois rien, parce que les stores ont été tirés. Mais bientôt je distingue des traces roses à mes pieds, puis là-bas, dans un recoin, les deux chenapans qui me servent d’enfant, ceux qui ont promis et juré, ceux qui ont voulu savoir et voulu goûter, ceux pour qui la tentation a été trop forte, ces deux garçonnets aux mains pleines de colorants, dont les sourires coquins dégoulinent du dessert interdit qui leur dessine sur les joues rieuses une large barbe bleue.


Moralité


Il n’est pas de temps présent ni jadis

Où les enfants obéissent

Car les enfants les plus attendrissants

Sont de petits chenapans.

Et très loin du courroux,

Rien n’est plus doux 

Pour le cœur d’une mère

Que ses enfants faisant de paire,

À la barbe de leur mère

Et en riant les quatre cents coups.


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Batailles rangées⭣