Bravo mais pas trop

 

Batailles choisies #402

Une corde raide sur laquelle les parents font du funambulisme: complimenter un frère sans peiner l’autre, encourager l’un sans enlever sa gloire à l’autre, ménager des egos en pleine construction.  🧶


 

Milieu demande à monter sur le vélo, le beau vélo rouge, de son frère. Son père et moi hésitons. Laisser Milieu, trois ans et demi, faire du vélo sans petites roues, alors que Grand, 6 ans, vient à peine d’apprendre, est-ce une bonne idée?


Grand, qui a entendu la demande de son cadet, vient lui expliquer doctement: 

- J’accepte de te le prêter, mais tu sais, c’est très très difficile de faire du vélo sans les petites roues! Il faut énormément travailler. Il faut essayer, essayer, et réessayer encore et puis parfois on n’y arrive pas mais c’est pas grave, on essaie de nouveau et à la fin, dans 4 ans, ou peut-être même plus par exemple dans deux semaines, là, seulement, on y arrive. 


Je me réjouis intérieurement que Grand puisse ainsi verbaliser ce qu’est le sens de l’effort: se pousser à s’améliorer, chercher à faire mieux, traverser les difficultés, dépasser ses limites. C’est une valeur essentielle que je veux leur transmettre et je suis très heureuse que Grand tire une fierté à réussir, avec effort, en charbonnant.

C’est juste que… son frère Milieu apprend beaucoup plus vite.

Il a appris bien avant son frère à faire de la trottinette; il a appris tout seul à nager; il est très adroit, moins timoré que son aîné; il a passé des heures à faire de la draisienne; il est prêt.


- Bon, Milieu, d’accord pour le vélo, mais on va bien te tenir, ok? 


Son père et moi alternons pour tenir la selle du grand vélo rouge. Milieu garde le guidon bien droit. À plusieurs reprises, on lâche la selle, Milieu ne le remarque pas. Il ne mettra pas quatre ans ni même deux semaines à maîtriser le vélo. Il apprendra sans effort, ce n’est qu’une question de jour, ou d’heure.


Il va falloir ménager les susceptibilités, encourager Milieu en soulignant comme il est fort, sans léser Grand de la gloire de son apprentissage, lui qu’on a félicité sans relâche à grands renforts de compliments exagérés pour qu’il prenne confiance en ses capacités, pour qu’il accepte d’apprendre dans l’effort. Pourtant, on ne va pas non plus interdire à son frère ce qu’il appelle de ses vœux, ni l’entraver.


On enlève donc les petites roues du petit vélo bleu. Le grand rouge reste celui de l’aîné, le petit bleu prend du galon. En deux minutes, Milieu sait faire du vélo sans petites roues.

Personne n’a chu, ni lui de son vélo, ni son frère de son piédestal, ni ses parents de leur maigre ficelle.


Pourtant, Milieu, alors qu’il réussit à faire des longueurs de rue sans difficulté, prend peur et s’arrête en pleurant. Je me rappelle aussitôt cette sortie aux jeux de la Lagune où Milieu avait suivi sans difficulté son aîné jusqu’en haut d’une grande échelle de corde puis s’était bloqué et avait refusé de descendre.


Le premier n’a pas forcément de modèle à suivre pour grandir, pour essayer de nouvelles choses, pour se dépasser. Alors que le deuxième voit et veut faire. En revanche, le deuxième, d’après ce que j’ai vu chez mes enfants, a souvent plus gros yeux que grand ventre, se lance par imitation alors qu’il n’est pas forcément, physiquement ni mentalement, prêt: il veut faire pareil, lui, tout seul, tout seul, et monte sans savoir redescendre, se prend un nombre incalculable de chutes, à pied, en trottinette, et tout bientôt, bravo mon Milieu, bravo, comme tu fais bien, sous peu, se prendra plein de nouveaux cartons, à vélo.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣