Peine perdue
Batailles choisies #451
Une scène de la vie de famille qui nous a fait éclater de rire et qui concerne un grand progrès de Milieu, un gigantesque crocodile en peluche et des petits pas discrets. 🐊
Pendant que mon mari est chez sa mère à révolutionner notre vie familiale en s’occupant exclusivement de Dernier, de mon côté je ne suis pas en reste puisque je réussis l’exploit, la prouesse, le tour de force que Milieu, bientôt 4 ans, s’endorme tout seul.
Oui, 4 ans dans quelques semaines.
Oui, c’est bien trop tard.
Oui, jusqu’à la semaine dernière, il ne réussissait à s’endormir qu’avec un adulte assis dans son lit.
Oui, j’ai honte.
Oui, toutes nos soirées étaient réparties entre celui qui endort Dernier (en général moi) et celui qui endort Milieu (en général monsieur).
Oui, c’était très pénible.
J’avais bien tenté, à de multiples reprises, de mettre en place de bonnes habitudes de sommeil, de l'inciter, l’encourager, l’engueuler, le soudoyer pour qu’il dorme tout seul. Technique de la chaise, un dernier bisou et je reviens tout de suite sauf que je ne reviens pas, faire tourner les peluches jusqu’à trouver le bon concubin que je cherche encore, la liste des tentatives et des échecs inscrits en face est si longue que j’avais fini par me dire que c’était peine perdue.
Le quatrième anniversaire de Milieu approchant, son incapacité à s’endormir tout seul (alors que son frère le faisait au même âge) était de plus en plus un sujet de frustration. Tous les soirs, je soufflais de lassitude, je me disais que j’en avais marre de cette situation, que j’avais déjà un bébé qui était dépendant de nous pour le sommeil, non, Milieu doit passer à autre chose pour qu’on puisse, nous aussi, passer à autre chose, retrouver ce moment qui nous échappe depuis six ans et que les extraterrestres autour de nous appellent des “soirées”. Au fond de moi, je gardais aussi un sentiment de culpabilité: j’avais lu, un jour où je cherchais de l’aide sur Internet, ce qui est souvent une mauvaise idée, que si je ne réussissais pas à donner de bonnes habitudes à mon enfant, je lui enlevais son autonomie. Pas retardais, ni échouais, ni manquais (des échecs remédiables) mais “enlevais” - s’applique aux mauvaise mère faisant, consciemment, mal les choses. Toujours est-il qu’on avait suffisamment échoué pour avoir abandonné: le soir, on n’avait plus l’énergie de se battre là-dessus, mon mari s’asseyait à côté de Milieu et lisait le journal sur son portable, profitant d’un moment à lui. Et tant pis pour l’autonomie - mauvais parents.
Sauf que, je reviens à cette semaine révolutionnaire où Dernier n’est pas avec moi mais avec son père chez sa mère, sauf que, donc, un soir, je me retrouve libérée de la corvée de dodo de Dernier. C’est inespéré! Alors quand Milieu me demande mi-chouinant mi-attendrissant de dormir avec lui, je le reçois fraîchement: pas moyen que je passe ma soirée ici. Je lui dis simplement et fermement: “Non. Je dois aller ranger en bas la cuisine. On se voit demain matin parce que tu vas rester toute la nuit dans ton lit. Mais, tiens, regarde, le crocodile géant, ça fait longtemps que tu n’as pas dormi avec lui”.
Les enfants comprennent parfois quand il ne faut pas insister. Ma fin de non-recevoir a décidé rapidement Milieu à demander le crocodile qui, sans doute parce qu’il est presque aussi grand que nous, est finalement le doudou qu’il lui fallait. J’ai déposé un bisou sur le front de mon fils et je suis partie. Il ne s’est pas réveillé. Je n’ai pas été réveillée.
Victoire. Joie. Affaire classée. Toutes les nuits suivantes se déroulent de la même manière. Ça y est, Milieu s’endort seul et ne se lève plus pour venir nous chercher dans la nuit.
Mon mari revient et nos habitudes à cinq reprennent, avec, en guise d’épilogue, une anecdote savoureuse. Au milieu de la nuit, Milieu retente le coup et entre dans notre chambre à la recherche de son papa qui, depuis si longtemps, s’endort avec lui. Dans l’obscurité, il ne voit pas qu’il est dans le lit de Dernier, en retrait derrière le nôtre. Tout ce que voit Milieu, c’est donc sa maman. Mon mari est éveillé et voit cette scène qu’il me rapporte le lendemain en riant. Milieu s’approche du lit, voit sa mère endormie. Il tourne alors les talons, referme silencieusement la porte de la chambre et à petits pas discrets retourne dans les bras de son gigantesque crocodile qui sera plus doux que sa mère revêche, sachant trop bien qu’avec celle-là, rien à faire, c’est peine perdue.