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Pour le mieux
 

Batailles choisies #647

Se couler dans la vie des enfants parce que la vie de mère, c’est se mettre en pause, ou se mettre au rythme des autres, le soir, la nuit, et à 6 h du matin.  🕕


 

Mon portable est formel: il est presque 6 heures du matin.

Mes yeux sont formels: j’ai assez dormi.

Ma réalité est formelle: je ne peux pas me lever.


J’ai envie de me lever. Envie de descendre discrètement dans la cuisine. Envie d’ouvrir mon ordinateur. Envie de faire vrombir notre machine à café flambant neuve, beau bolide qui moud le grain et fait flotter dans l’air une odeur de dimanche. Envie de boire l’amère breuvage à petites gorgées. Envie d’écrire. 


Il est six heures du matin et je veux aller travailler. C’est une énergie qui me pousse, une force qui vient de ce que je souffre d’un terrible sentiment d’échec en ce moment. J’ai l’impression de ne plus être écrivaine, d’avoir regardé, sans voir ou sans comprendre, ma vie se faire dévorée par mes autres vies, vie de mère de famille, vie de prof surtout. Mon deuxième roman est au garage, et menace de terminer son existence à la casse comme deux autres romans que j’ai écrit il y a dix et quinze ans. Je ne me sens écrivaine que parce que je m’accroche à mon blog, que je tiens avec acharnement et dans lequel j’ai de plus en plus souvent l’impression de perdre mon âme d'écrivaine au lieu de m’y épanouir.


Mais, tant pis, chasse les idées de déprime, de blues, de sombre, et appuie-toi sur cette envie de te mettre au travail. Je pense, je veux croire, que si je retrouvais un meilleur régime de travail, je réussirais à sortir de cette spirale de sentiment d’échec. Ça fait d’ailleurs longtemps qu’elle me trotte dans la tête, cette idée, cette envie, d’un changement de rythme qui redonnerait de la place et de l’ampleur à mon écriture. Cela fait plusieurs semaines que je me réveille tôt, que je suis prête à commencer ma journée, que je pense à ce maudit roman, à ce post de blog, que j’ai des idées, que je veux.

Oui, oui, pourquoi ne pas mettre mon travail d’écriture le matin tôt, quand la maisonnée dort encore? La voilà, la sacro-sainte solution!


Tout doucement, je soulève les couvertures puis me glisse hors du lit. J’attrape mon portable, le bloque sous le bras ainsi que mes chaussettes antidérapantes, prends de l’autre main mon ordinateur, mon chargeur, mon casque, sors discrètement de la chambre pour ne pas réveiller Mari, ferme la porte derrière moi, ferme aussi, en passant, celle des garçons.

À pas de loup, je descends les escaliers, j’allume le chauffage en lançant d’intérieures imprécations au faible bip de la télécommande puis, après avoir pesé le pour et le contre de faire marcher la cafetière, son délice, son odeur et son ronronnement et avoir décidé que non, ça ne valait pas la peine de tout risquer, j’ouvre mon ordinateur et m’assois sur le canapé, une écharpe qui traînait dans l’entrée sur les épaules - à 6h12, il fait frisquet.

Je regarde mon document ouvert et commence à… 

Évidemment.

Dernier, en haut, s’est réveillé.

C’est tout ce que j’ai réussi à faire, ouvrir mon ordinateur. 

Évidemment, mon pari a échoué.

Dernier s’est réveillé trop tôt, n’arrivera pas à se rendormir, sera difficile ce soir et sans doute aujourd’hui aussi, et je n’ai pas écrit une ligne.


Je remonte en quatrième vitesse, me glisse dans le lit avec Dernier pour essayer, espérer, qu’il se rendorme et nous évite cette journée pourrie qui s’annonce, me tiens parfaitement immobile, parfaitement en suspens, parfaitement dépitée.

Je rumine, le regard collé au plafond, m’en veux, de ma naïveté, en veux un peu à ma vie et à mon fils. C’est donc ainsi? Le moindre écart, le moindre pas de côté, m’est interdit…

Il est si difficile de devoir sans cesse me couler au milieu des horaires des enfants, de devoir m’adapter, de ne jamais pouvoir arranger mes horaires et devoir sans cesse faire pour le mieux, c’est-à-dire m’arranger autour des horaires des enfants. Exister seule est encore impossible alors que j’aimerais tant qu’on ait des existences parallèles, chacun dans son truc.


Alors je reste là, à ruminer, à attendre.

À attendre.

Parce que, pour l’heure, c’est pour le mieux.


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La vie nocturne
 

Batailles choisies #633

Lors de mes insomnies, je rumine, rumine, rumine mes jours, mes idées, mes colères, et ruine, ruine, ruine mes nuits, mes pensées, mes espoirs. 🥱


 

C’est le milieu de la nuit.

Quel milieu, me demandez-vous?

Je ne sais pas.

Peut-être deux heures, peut-être trois, peut-être quatre heures du matin.

Le milieu de la nuit.

Le même que toutes les nuits, quand Dernier se réveille et qu’il vient à petits pas rapides me chercher pour que je dorme dans son lit.


Jamais Dernier ne me réveille vraiment lorsqu’il arrive au pied de mon lit, puisqu’à la minute où les bruits de ses petits pas résonnent sur le parquet, mon radar sonne et mon cerveau s’allume avec un grand poum. Je bondis alors hors de mon lit, éveillée d’un coup d’un seul, prends Dernier tout ensuqué dans mes bras et vais me coucher avec lui, au chaud sous sa couette, dans l’espoir de terminer ma nuit. 

Sauf qu’à cette heure du milieu de la nuit, lorsque l’enjeu est immense, mon mode fonctionnement optimum est activé. Sensible à tous les bruits, écoutant les respirations des uns et des autres, je cherche à anticiper un réveil, un pleur, une envie de pipi, événements minimes qui pourraient nous mener tous à la catastrophe. Et tant pis si je sacrifie mon sommeil: il faut absolument, coûte que coûte, que les enfants dorment et ne se réveillent pas.

Au milieu de la nuit, sortent alors de sous la couette où ils se tenaient bien au chaud, les responsables de mes insomnies: mes petits soucis du jour à venir, les pensées pour les élèves difficiles dont je vois les visages et que j’essaie, mais c’est peine perdue, de chasser; les pensées pour les copies à corriger, les cours à préparer, les erreurs que j’ai faites avec les enfants des autres ou avec les miens, et des paroles de chanson qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. Et ce Dernier qui continue à nous épuiser… qu’est-ce qu’on va faire pour que ça se passe bien à l’école… this ain’t Texas… et ce gosse, là, en sixième, qui a un déficit attentionnel terrible, comment peut-on faire pour lui apprendre la syntaxe? 

Je suis sur la mauvaise pente, celle du jour alors qu’il fait nuit noire. Comme trop souvent, je sens que je vais faire une insomnie, sauter un cycle entier de sommeil et devoir enquiller une journée sur un manque cruel de repos.


Je tente, tout de même, de me rendormir, essayant un peu ci, un peu ça, un peu le reste: me concentrer sur ma respiration, me dire cinquante fois “ne pense pas au travail”, ce qui, évidemment, ne marche pas. Horloge intérieure détraquée. Réveil matin-nuit.


Alors, dans le froid, dans le noir, mes deux concubines, Culpabilité et Colère, s’éveillent elles aussi. Je suis en colère contre tous ces parents qui, contre tous mes enfants qui, contre surtout tous les maris qui ne se lèvent pas la nuit, hein! Comme si c’était à moi d’être toujours au garde-à-vous et scoute toujours! Mais, peut-être que je n’ai pas fait assez pour donner de bonnes habitudes de sommeil à Dernier et que j’en suis là, dans son lit, par ma faute et aussi que j’ai trop accepté, encaissé, de Mari, quand j’aurais dû, simplement, imposer une nuit sur deux. Culpabilité et Colère sont toujours là, la nuit. Sans doute ont-elles attendu, tapies dans l’ombre, que j’arrive avec la faiblesse d’une gazelle boiteuse. Je partage leur couche, me tournant et retournant dans le lit de Dernier, du côté de l’une puis du côté de l’autre, allant de l’une à l’autre. 

Les heures passent, le noir ne faiblit pas. Le milieu de la nuit devait être deux heures et il doit être au moins quatre, ou cinq, temps passé à ruminer et à m’épuiser. 


Peut-être que je m’assoupis quelques minutes. Je ne suis plus sûre.

J’ai le sentiment de n’avoir pas dormi quand Dernier, lui, trouve qu’il est repu de sommeil et qu’il est l’heure de se lever.


Le jour pâle se lèvera, encore une fois, sur une longue, épuisante et traînante, journée.


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