Survivre
Batailles choisies #455
Face à la perspective d’une sortie galère, je ne vois plus que deux solutions: planter là mes marmots et que le meilleur gagne, ou bien respirer un grand coup et les trouver adorables. ⛅️
Dernier veut monter dans la balançoire. Milieu veut faire du vélo dans la rue devant la placette. Grand veut jouer à 1-2-3 soleil. Je suis donc écartelée entre trois enfants, trois envies, trois paires de mains qui me tirent, qui vers la droite, qui vers la gauche, qui tout droit. Je suis dehors, un samedi matin à 9h17 parce que, mon mari ayant passé beaucoup de temps avec Dernier malade, a besoin de travailler. Il me faut tenir - tenir les garçons, tenir le temps nécessaire, tenir ma patience. J’ai tenté, mais j’ai rapidement dû admettre que pousser une balançoire d’une main, donner son élan à un vélo de l’autre et s’arrêter tout net au cri de “soleil” entre les deux, ne marche pas. Je n’ai pas trois bras, ni trois yeux, ni trois jambes, je suis dépitée, je ne sais pas comment je vais survivre à cet enfer tout particulier que sont les sorties pourries. Mes enfants le sentent bien puisqu’à tout ce que je propose, de mauvaise grâce et de vraie fatigue, on ne fait que m’opposer un refus, des pleurs, des bouderies, des reproches.
- Mais, les garçons, arrêtez, là! Je n’ai pas trois bras, il va falloir qu’on trouve une solution pour jouer tous ensemble à la même chose, parce que là, je n’y arrive pas.
- Je veux pas jouer ensemble, je veux faire vélo! rugit Milieu.
- Je vais plus jamais jouer à 1-2-3 Soleil avec toi, même si tu me demandes, tu es la pire des Mamans, clame Grand, croix de bois, croix de fer.
- Ouin! renchérit Milieu
Paraît-il que la mignonitude des enfants est la stratégie qu’a mise en place Mère Nature pour assurer la survie des bébés humains. Comment, en effet, face à Dernier qui s’agenouille en hurlant de désespoir devant la balançoire refusée, face à Milieu qui exige qu’on le pousse et Grand qui, déçu d’avoir bougé, s’enferme dans une bouderie des mauvais jours, ne pas se dire, ben tant pis, je les laisse là, que les hunger games commencent, hein? Comment?
- Bon, cache-cache alors, crie-je avec conviction pour nous sortir de ce mauvais pas! 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10! Les enfants, vous êtes où?
J’ai entendu dans mon dos les enfants détaler. J’ai pris une grande respiration, de celles qui me permettent de survivre à mes frustrations, de celles qui me donnent le temps de regarder la pré-Cordillère environnante, ses sommets enneigés, l’azur éclatant qui me plaît tellement ici, de celles qui me donnent le temps de sentir l’air frais, d’entendre les oiseaux qui pépient, de celles qui me rappellent que ma vie est douce, pleine d’amour, belle.
Je me mets à chercher les enfants à grand gestes farcesques et les retrouve vêtus de leur plus belle tenue de survie: Grand accroupi derrière un buisson qui tient avec responsabilité son petit frère et s’enfuit comme un lapin en éclatant de son plus beau rire; Milieu, dans les bras de son aîné d’abord puis me regardant avec ce regard franc et ce sourire ravageur qu’il a, avec l’air de dire “tu m’as trouvé, chouette”; Dernier caché derrière un tronc d’arbre tout fin, qui, à peine retrouvé, court vers moi de ses pas maladroits en criant “Da!” au milieu de ses gazouillis.
Les hunger games sont terminés. Vous avez gagné.
Je n’ai pas trois bras. Mais j’ai trois cœurs.