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Batailles choisies #536
Mon aîné a eu sept ans. L’occasion de regarder dans le rétro de la maternité et de se demander: c’est quoi au fait, être mère? 🍀
Il y a sept ans, je devenais maman.
Je ne savais pas alors ce que c’était, être mère. J’avais lu, j’avais imaginé, j’avais projeté, je m’étais préparée fort sérieusement, je pensais savoir.
La réalité pourtant, c’est que je ne savais absolument rien. La réalité, c’est qu’on entre en maternité la fleur au fusil, sans avoir aucune idée que c’est une guerre de tranchées, qu’on y livre des batailles dans la boue. La réalité, c’est qu’en devenant Maman, j’allais être malheureuse comme je ne l’avais encore jamais été.
J’ai souffert des nuits sans sommeil, des pleurs sans causes identifiées, des journées qui s’éternisent, des fièvres qui se déclarent la veille d’une réunion importante, des maladies qui s’enchaînent. J’ai souffert des crises d’un aîné qui accueille un petit frère. J’ai souffert d’un confinement éternel, d’un troisième qui pleurait beaucoup, de disputes avec mon aîné, de l’impression de ne pas réussir à être une bonne mère, j’ai souffert d’une culpabilité traînante envers mon deuxième, d’une lassitude de devoir, encore, m’occuper d’un troisième.
Il a sept ans, je n’imaginais pas l’ingratitude de la tâche d’élever des enfants, ni l’impression effarante que le travail ne s’arrête jamais, pas plus que je n’imaginais à quel point je me sentirais isolée, seule, au mieux à deux. J’étais loin de savoir qu’on endure, plus qu’on ne vit, la parentalité. J’étais bien loin de cette planète. Mais, c’était il y a longtemps, que j’habitais sur une autre planète.
Il y a sept ans, je vivais en France,
Il y a sept ans, j’étais à quelques mois d’emménager au Chili et de plonger en même temps dans un gouffre terrible, une période de noyade dont j’ai réchappé tout juste en respirant entre les vagues.
Il y a sept ans, je suis devenue mère.
Mais c’était, déjà, il y a sept ans.
Grand a soufflé ses sept bougies. Ça y est. J’ai un fils de sept ans. J’y crois à peine. Comme elles me semblent loin, autres, étrangères, les nuits d’insomnies à pleurer parce que mon fils hurle et que je n’ai plus l’énergie de le calmer! Comme elles me semblent proches!
J’ai l’impression d’avoir passé les dernières années à creuser dans ma tranchée, à m’enfoncer toujours plus dans la boue, un deuxième enfant, un troisième enfant, à embrasser les duretés parce que de toute manière, être parent, c’est faire le choix du difficile et que je veux une famille, alors qui dit enfant dit bouillasse.
Pourtant, ces bougies sur le gâteau, c’est une respiration, c’est une pause, une note d’espoir: c’était il y a longtemps, mon entrée, mon plein fouet, dans la maternité.
Parce qu’il y a sept ans, quand j’allais si mal, j’étais loin aussi d’imaginer que ma vie deviendrait chaque année plus belle, plus douce, plus privilégiée. Que chaque année qui passait allait alléger ma vie de maman. Qu’il y a un moment, où, oui, ça devient plus facile. Un moment où, du moins, ça devient moins pesant.
Je ne vais pas dire, non, qu’il faut profiter, que ça passe trop vite. Parce que les joies ne rattrapent pas les difficultés de la parentalité. Elles coexistent ensemble. Plus les enfants sont petits, plus les malheurs collent. C’est maintenant que les enfants grandissent que je me dégage lentement de l’impression que les joies de la parentalité se cherchent au tamis au milieu de pierres coupantes, maintenant que je trouve qu’elles poussent davantage comme des plantes, fragiles, exigeantes. Mon fils a sept ans et je ne peux que dire, comme beaucoup de mères dont le discours me paraissait étranger, que je ne regrette pas.
Non, je ne regrette pas d’être devenue mère. Je ne regrette pas d’avoir choisi le difficile. Malgré tout, je recommencerais, parce que j’ai tellement grandi à voir mes fils grandir.
Mon aîné a donc 7 ans. Chiffre magique. Chiffre porte-bonheur. Âge de raison.
C’est vrai que depuis quelques semaines, je trouve Grand beaucoup plus raisonnable. Plus patient. Plus compréhensif. Plus empathique. Juste plus… grand.
Grand et moi passons sous la porte où un numéro 7 géant clignote.
Lui et moi entrons dans un autre âge.
Qu’y a-t-il là-bas, de l’autre côté du miroir?
Peut-être des sourires sous la boue séchée.